Une résistance pacifique

Autrefois, on ne pouvait pas passer un coin de rue en Chine sans avoir un aperçu du Falun Gong. Les pratiquants remplissaient les parcs du pays au petit matin pour leurs exercices ressemblant à ceux du tai-chi. Ses écrits, régulièrement des best-sellers, garnissaient les étagères des librairies de Wangfujing, l’un des quartiers les plus commerçants de Pékin. C’est au cours de l'été 1999 qu’un nombre incalculable de pratiquants ont envahi les rues de la capitale chinoise pour protester contre une interdiction illégale qui allait bientôt se transformer en ce que les principaux défenseurs des droits de l'homme ont appelé “un génocide".

Si dans les années 1990, le Falun Gong était très prisé en Chine, à l’approche du nouveau siècle, il l’était également en Occident : en 1999 et 2000, les reportages sur les manifestations courageuses des Falun Gong sur la place Tiananmen ainsi que leurs conséquences souvent tragiques, faisaient la une quotidienne de la presse occidentale. La plupart des lecteurs avides de nouvelles avaient au moins une vague idée de qui étaient les Falun Gong et de leur interdiction.

Mais depuis lors, comme le raconte Leeshai Lemish dans un essai, le Falun Gong est amplement passé sous les radars des médias, voire de la conscience du public. En effet, les temps où des milliers de personnes se rassemblaient pour protester au cœur symbolique de l’État chinois sont révolus ; les banderoles jaunes reconnaissables, les cris de protestation et les manifestations ouvertes de violence policière en réaction ont largement disparu au cours des cinq dernières années.

Alors où est passé le Falun Gong, s’il est passé quelque part ? Et qu’est-il devenu ? Le plus grand État communiste du monde- un Goliath contre un David, a tout point de vue- a-t-il retiré la “solution” qu’il avait proposée au “problème du Falun Gong”, c’est-à-dire son “éradication»? Beaucoup ont interprété l’absence de protestation publique comme un “oui” tacite. Pourtant, rien n’est moins vrai.

La force, ou l’inspiration, derrière les premières protestations des Falun Gong ne s’est pas éteinte, et encore moins ses pratiquants. Bien au contraire, elle n’a fait que croître, mûrir et évoluer. Avec une ténacité née d’une conviction spirituelle, cette communauté a surmonté vingt ans de violences pour devenir aujourd’hui un catalyseur du changement en Chine à une échelle que peu de gens auraient pu imaginer. À l’heure actuelle, les Falun Gong mènent une action en faveur des droits de l’homme de différentes manières. Depuis le début de la persécution, ils passent des appels téléphoniques, distribuent des flyers, ils ont également intercepté des programmes de la télévision officielle pour diffuser des informations fiables sur le Falun Gong; de plus, ils créent des imprimeries clandestines et s’expriment à travers les arts; tout cela dans le but d’informer les gens et de rétablir la vérité sur le Falun Gong. Et chaque jour, un chœur de voix de personnes ne pratiquant pas le Falun Gong se joint également à eux, fatigués de cette domination oppressante, pour exiger que les choses changent.

Bien qu’il soit si peu connu en Occident, il s’agit probablement du plus grand mouvement populaire de l’histoire de la Chine, voire du monde. Jamais l’histoire de la Chine n’a connu un mouvement de ce genre, mêlant comme il le fait non-violence, haute technologie et conviction religieuse.

Il s’agit d’une histoire qui, une fois terminée, sera probablement racontée en Chine aux générations futures.

Coercition et crise

À la fin de l’année 2001, les Falun Gong en Chine se sont retrouvés au cœur d’une campagne de style maoïste visant à “éradiquer” leur groupe de méditation. Pour beaucoup, les jours les plus sombres du régime communiste étaient de retour.

C’est cette année-là que les dirigeants chinois ont officiellement approuvé “le recours systématique à la violence contre les Falun Gong”, selon le Washington Post, le tout conjugué à “un réseau de cours de lavage de cerveau” et à une campagne visant à “éliminer les pratiquants quartier par quartier et lieu de travail par lieu de travail… Aucun membre du Falun Gong n’est censé être épargné”. Le Washington Post a révélé que James Ouyang, un ingénieur en électricité âgé de 35 ans, et que d’autres pratiquants ont, comme lui ” ont été passés à tabac, électorcutés à l’aide de matraques électriques et ont dû subir des pressions physiques insupportables.” Un responsable du Parti qui avait conseillé cette politique en faveur de la répression a déclaré : “Toute la brutalité, les ressources et la force de persuasion du système communiste sont utilisées – et celà a un effet.”

Et c’est ce qu’il semblait. James Ouyang, comme le rapporte l’article du Washington Post, avait, au moment de sa libération du camp de travaux forcés, dénoncé les enseignements du Falun Gong et rejeté la pratique. Il avait rejoint les rangs des “réformés”, comme les appellent les fonctionnaires du Parti. Statistiquement, sa rupture avec la pratique signifiait un pratiquant de Falun Gong en moins.

Mais était-ce vraiment ce que Ouyang voulait ? Était-ce l’expression de sa propre volonté, d’un libre choix, ou d’une prise de conscience? Pas vraiment.

L’article du Post raconte avec des détails déchirants comment Ouyang a été “réduit à l’état de “chose obéissante”” au cours de dix jours de torture. Il a été déshabillé et interrogé pendant cinq heures d’affilée. Tout manquement à répondre “correctement” (par un “oui”) entraînait des coups répétés avec des matraques électriques. On lui a ordonné de rester debout immobile face à un mur ; à chaque fois qu’il faisait un mouvement, il recevait une décharge électrique ; s’il s’effondrait d’épuisement, il recevait une décharge électrique. Au sixième jour, Ouyang ne parvenait plus à voir clairement, cela dû au fait qu’il devait regarder fixement le mur à 10 cm de son visage pendant tout ce temps. Il a ensuite été frappé une nouvelle fois, car ses genoux avaient cédé, après quoi il a finalement cédé aux exigences des gardes. Pendant les trois jours suivants, il a dénoncé les enseignements du Falun Gong. Les agents ont continué à lui administrer des chocs électriques, ce qui fait qu’il s’est souillé à plusieurs reprises. Ce n’est qu’au dixième jour que son renoncement a été jugé “suffisamment sincère” par les autorités. Il a alors été transféré dans des classes de lavage de cerveau, où, après 20 jours de séances de 16 heures et un rejet officiel du Falun Gong enregistré sur vidéo, Ouyang a finalement obtenu son “diplôme”.

Les cas de “réforme” comme celui d’Ouyang sont rapidement présentés par les responsables du Parti comme des modèles de réussite. D’où les enregistrements vidéo. Pour le monde extérieur au camp de travail, ou pour ceux enfermés dans l’enceinte de la direction centrale de Pékin, il semblait en effet que le Parti-État remportait des “victoires” contre le Falun Gong.

Mais les observateurs n’ont pas remarqué – et c’est encore souvent le cas – la nature fragile de ces “succès”. Peu d’entre eux ont pris en considération à quel point ces “succès” sont fragiles car ils ont été obtenus par la force et la violence. Ils reposent sur la capacité du régime à faire pression. Ils exigent de la part des personnes des déclarations auxquelles ils ne croient pas, et le font, souvent, avec une cruauté stupéfiante. L’individu “transformé”, une fois de retour dans le monde, représente toujours un fardeau pour l’État. Il faut qu’il se sente continuellement menacé, qu’on lui rappelle la douleur et la brutalité qu’il a ressenti autrefois. Il doit être isolé, de peur que les interactions avec d’autres pratiquants “non réformés” ne ravivent cette affinité originelle avec la pratique. Et il doit être privé d’accès aux enseignements écrits de la pratique, ou même d’informations dissidentes (non contrôlées par l’État) sur ce qui est fait à ses pratiquants. En l’absence ne serait-ce que d’une seule de ces mesures coercitives, la “transformation” pourrait bien s’estomper.

Il s’agit bien entendu d’une proposition dangereuse pour un gouvernement qui n’a pas les moyens de fournir une instruction ou des soins de santé essentiels à des centaines de millions de citoyens ruraux qui souffrent d’une pauvreté abjecte, ou qui ont été témoins de quelque 87 000 émeutes et “incidents de masse” il y a seulement deux ans. A-t-il vraiment les ressources, ou le charisme, pour mettre en œuvre de telles tactiques pour toujours ? Comme l’a dit un correspondant du New York Times en 1999 : “En est-on arrivé au point ou : le Parti communiste chinois est terrifié par des retraités en baskets qui suivent un maître spirituel qui vit dans le Queens aux Etats-Unis?”

Il ne semble pas non plus que les dirigeants chinois aient envisagé les enjeux à long terme de cette campagne. Qu’est-ce que cela signifie pour le régime politique le plus vaste du monde de mettre hors la loi et de tenter d'”éradiquer” un groupe de personnes qui aspirent à méditer et à vivre une vie vertueuse ? L’agence de presse Xinhua, le porte-parole officiel du Parti communiste chinois, a affirmé ce à quoi le Parti était confronté dans un commentaire involontairement franc, une semaine seulement après le début de la campagne. Xinhua a déclaré : “En fait, le soi-disant principe de “Vérité, Bonté et Tolérance” prêché par [le maître du Falun Gong] Li Hongzhi n’a rien en commun avec le progrès éthique et culturel socialiste que nous nous efforçons d’atteindre.”

D’autres, comme l’analyste sinologue Willy Lam, ont rapidement remarqué les fruits mortels que le Parti récoltait. Écrivant la même année que le calvaire de Ouyang (2001), Lam a déclaré que “la Chine est au bord d’une crise du chengxin qui menace non seulement de mettre en pièces son tissu moral, mais aussi de faire dérailler les réformes économiques et politiques”. “Chengxin”, explique Lam ailleurs dans son essai, est le terme chinois pour “honnêteté” et “loyauté”.

Aujourd’hui, près d’une décennie après le début de la campagne contre le Falun Gong, la crise du chengxin a atteint de nouveaux macabres sommets, comme en témoignent les révélations désormais quotidiennes à propos de produits contaminés provenant de Chine. Rares sont ceux qui ont fait le lien entre le dentifrice empoisonné et la situation critique du Falun Gong, mais ce lien ne semble pas exagéré. Mettez à l’écart 100 millions des meilleurs citoyens de votre pays et terrorisez tous ceux qui essaieraient de vivre comme eux, et vous avez la recette d’un désastre. Ou du sirop pour la toux empoisonné, si vous voulez.

Recommencer la pratique

Des pratiquants de Falun Gong rencontrent en secret des journalistes occidentaux près de Pékin, où ils font la démonstration de certains exercices de Falun Gong et racontent les violations des droits de l’homme auxquelles eux-mêmes et les membres de leur communauté sont confrontés.

De nombreuses personnes comme Ouyang n’en sont jamais vraiment venues à détester le Falun Gong. Les dénonciations de la grande majorité des pratiquants “réformés” leur ont été arrachées, littéralement, par la torture et la menace. Ce qu’ils ont appris à haïr, en revanche, c’est le Parti-État. Ouyang a déclaré au Washington Post : “Maintenant, chaque fois que je vois un policier et ces matraques électriques, je me sens malade, prêt à vomir”. En d’autres termes, les professions de foi envers le Parti obtenues dans les entrailles du goulag chinois n’étaient pas tout à fait synonymes de zèle révolutionnaire.

Au lieu de cela, les témoins en Chine suggèrent que cela a généré un profond ressentiment envers l’oppresseur. Et un questionnement. Comme le titre d’un essai de l’enseignant du Falun Gong l’indique, “La coercition ne peut pas changer le cœur des gens”. Le Falun Gong a apporté tant de choses à tant de personnes : une santé florissante, un nouveau sens à la vie, des relations humaines réparées et un sentiment d’optimisme communicatif. Renoncer à cette pratique était pour beaucoup un retour à une vie brisée.

Il n’a donc pas fallu longtemps pour que des déclarations publiques annulant les rétractations forcées commencent à apparaître. Intitulées “déclarations solennelles”, ces déclarations ont commencé à apparaître en masse sur le principal site internet du Falun Gong, Minghui.org. Des centaines de pratiquants ont commencé à écrire des déclarations solennelles chaque jour. Tong Shixun, qui avait été maltraité par les autorités dans un camp de travail de la province de Shandong, a écrit en septembre 2001 qu’il souhaitait “déclarer solennellement comme nul et non avenu tout ce que j’ai dit et écrit alors que je n’avais pas tous mes esprits à la suite d’une intense persécution”. Comme beaucoup d’autres, sa déclaration était accompagnée d’une promesse de résistance à la persécution. “Je suis déterminé quant à ma pratique, et je vais utilizer tout le temps dont je dispose pour dénoncer le mal qui se déroule”, a écrit Tong. “Je redoublerai d’efforts pour clarifier la vérité et réparer mes erreurs.”

Plus de 350 millions de Chinois ont signé des pétitions pour quitter le PCC et ses organisations affiliées.

Aujourd’hui, le site Minghui a reçu environ 350 000 000 déclarations, un chiffre impressionnant. Ce chiffre donne un aperçu des changements massifs qui se produisent. Pensons à tout ce qui doit être mis en place pour chaque déclaration. Tout d’abord, la personne doit être prête à faire une déclaration publique. Ce seul acte peut conduire, et a déjà conduit, à un retour au goulag. Ensuite, la personne doit avoir accès à internet ; contrairement aux pays occidentaux, seule une personne sur 26 en Chine possède un ordinateur, sans parler de l’accès à lnternet. 

De plus, le simple fait d’accéder au site internet Minghui – et de connaître la possibilité d’une déclaration – nécessite l’accès à un logiciel sophistiqué, tant la censure d’Internet en Chine est forte. Enfin, communiquer sa déclaration au site internet est en soi une tâche, car un vaste éventail de filtres et de moniteurs Internet est en place pour empêcher toute communication sur le Falun Gong. On peut imaginer que pour chaque personne écrivant une déclaration qui passe au travers de la censure et est comptabilisée, il y a 50 autres pratiquants qui sont revenus à la pratique sans en informer le site.

Des témoignages provenant même de villages ruraux reculés, reçus par les éditeurs de Minghui et le Centre d’Information du Falun Dafa, confirment cette hypothèse. Beaucoup rapportent que la grande majorité des pratiquants d’avant la répression de 1999 de leur localité sont revenus au Falun Gong, souvent avec un engagement encore plus fort.

Dans certains cas, reprendre le Falun Gong n’est pas tant une question de recommencement, mais de début. C’est le cas de Zhang Xueling, 32 ans, de la province de Shandong. Selon le Wall Street Journal, Zhang a commencé la pratique après une rencontre fortuite en prison. Zhang avait été incarcérée pour avoir enquêté sur la mort de sa mère, Chen Zixiu, 58 ans, qui avait été assassinée par la police chinoise en raison de sa foi. En prison, Zhang a rencontré un certain nombre de prisonniers de conscience du Falun Gong. Elles étaient les seules personnes gentilles avec elle dans la prison, a-t-elle remarqué. Cette expérience l’a émue. Après sa libération, elle a elle-même commencé à pratiquer le Falun Gong.

“Avant, j’étais matérialiste et je croyais que tout dans la vie pouvait être acquis par un travail acharné”, a déclaré Zhang au Journal. “Mais le Falun Dafa est plus logique. À sa base, il y a trois principes : la Vérité, la Compassion et la Tolérance. Si nous nous y conformons, n’est-ce pas un sens plus profond de la vie ?”

Des sources en Chine soulignent toutefois que beaucoup ont maintenu leur croyance jusqu’au bout, défiant toute tentative de “transformation” de la part du parti. Certains n’ont tout simplement pas été inquiétés. Beaucoup ont résisté à la tempête. D’autres, comme dans le cas de Mme Gao Rongrong, comptable de 37 ans de la ville de Shenyang, ont payé le prix ultime. Gao a été torturée à mort de la manière la plus ignoble qui soit pour avoir refusé de renoncer à sa foi. À ce jour, les décès de plus de 3 000 Falun Gong ont été confirmés au cours de cette persécution.

La conviction

Une femme défie un policier en civil sur la place Tiananmen.

Si la taille croissante du Falun Gong est passée inaperçue aux yeux des observateurs extérieurs, il en va de même de sa force. En particulier, sa force de conviction. Si l’on en croit les plus grands mouvements non violents du XXe siècle, il s’agit là d’une erreur. Gandhi a un jour proclamé qu'”un petit groupe d’esprits déterminés, animés d’une foi inébranlable en leur mission, peut modifier le cours de l’histoire”. Cela est d’autant plus vrai pour un groupe qui est fort de millions de personnes, modéré et en pleine croissance.

La première strate de conviction est la plus évidente des deux. Depuis ce jour fatidique de juillet 1999 où leur foi a été interdite, les Falun Gong considèrent (à juste titre) que leur situation critique est un cas d’injustice flagrante. En effet, cette interdiction et l’escalade de la violence et des meurtres qui en ont découlé ont enfreint la constitution chinoise sur de multiples fronts, ainsi que les conventions internationales signées par la Chine. La liberté de croyance religieuse, du moins sur le papier, est garantie en Chine. Ce n’est qu’en octobre que le corps législatif chinois a adopté des lois légitimant la suppression des Falun Gong – sans se soucier de leur mise en application rétroactive. Les pratiquants n’avait enfreint aucune loi en se rassemblant au calme et de manière pacifique dans les jardins publics chinois, ni même lorsqu’ils s’étaient rassemblés massivement pour porter une pétition au gouvernement central près de Zhongnanhai, le quartier général de la direction centrale, en avril 1999, après que plusieurs de leurs membres aient été physiquement agressés par la police de la ville de Tianjin. (En fait, ce sont les autorités de Tianjin qui les avaient dirigés vers le bureau central des pétitions à Pékin).

C’est une conviction profonde, car elle est façonnée à un niveau spirituel. Beaucoup ont vite compris que la persécution ne visait pas tant ce qu’ils faisaient que ce qu’ils croyaient – ce qu’ils étaient. Les enjeux étaient tout à fait différents. Ce qui était en jeu, ce n’était pas tant la perte de droits que la perte de soi, ou de l’âme.

Un pratiquant chinois, Zhao Ming, a décrit ce ressenti en déclarant : “Mon expérience personnelle montre que la persécution du Falun Gong cible complètement notre croyance.” Zhao a été torturé dans un camp de travail de Pékin, où il a été détenu pendant deux ans. “[C’est] complètement la persécution de notre croyance spirituelle. Nous n’avons rien fait d’illégal (…) la torture est utilisée pour ‘transformer’ les gens en marionnettes agissant comme des machines sans conscience, qui peuvent être utilisées comme instruments pour nuire aux autres.” En effet, si toute la base du Falun Gong est de devenir des personnes moralement remarquables et en bonne santé, on peut se demander en quoi exactement les dirigeants chinois souhaitent les “transformer” à la place.

Mais le lavage de cerveau n’est pas facile à mettre en œuvre dans ce cas, bien sûr. Pour de nombreux pratiquants de Falun Gong, la pratique s’est avérée une source d’inspiration et de bonté. Pour certains, c’était une source de santé et de vigueur renouvelées. Pour d’autres, il s’agissait d’une philosophie aux résonances profondes, d’un nouveau prisme à travers lequel voir et se repérer dans la vie, à la fois responsabilisante et ennoblissante. Elle donnait également un sens à la souffrance, comme dans la foi bouddhiste ; la plupart en sont venus à la considérer comme imprégnée de valeur spirituelle. Ainsi, deux choses se sont naturellement produites avec le début de la persécution. Premièrement, les gens n’allaient pas abandonner leur croyance du jour au lendemain et deuxièmement, ils étaient prêts à souffrir pour elle. La persécution n’était pas seulement un affront aux droits politiquement garantis: c’était une forme de violence envers l’humanité, voire envers le cosmos. Le processus de cultivation de soi comme ils l’appellent est un chemin qui consiste à s’effacer autant que possible, à faire passer les autres en premier, même au détriment de son propre bien-être, si nécessaire. Le Parti, en un mot, avait touché à quelque chose de plus grand que lui même.

Mais la conviction a également eu une deuxième strate pour le Falun Gong en Chine au milieu de tout cela, une qui est davantage dirigée vers l’extérieur. Cette seconde conviction est née d’un sentiment de compassion, d’un souci de l’autre, nourri par la pratique. Rappelons que le processus de cultivation de soi est un chemin qui consiste à s’effacer en tant que tel, à faire passer les autres en premier, même au détriment de son propre bien-être, si nécessaire. Dans ce cas, cependant, ce ne sont pas tant les autres pratiquants de Falun Gong qui préoccupent les pratiquants eux-mêmes (bien que ce soit certainement le cas aussi), mais le concitoyen moyen. Les Falun Gong pensent que les autres citoyens subissent la même épreuve qu’eux, sont tout autant victimes et cela dans la mesure où tout citoyen chinois a été induit en erreur par la croisade du Parti contre le Falun Gong, et a appris, grâce à lui, à hair les Falun Gong.

Lorsque les pratiquants de Falun Gong disent de ces personnes qu’elles ont été “empoisonnées” par la propagande du Parti, ils font référence à une forme de préjudice et de contamination de l’âme. Et comme le Falun Gong enseigne d’aimer son prochain comme soi-même, rares sont les pratiquants qui ne se sentent pas dans l’obligation de tendre une main secourable à ces personnes. Un pratiquant a comparé cela à l’aide apportée à un enfant malade qui, lorsqu’il est infecté, est irrationnel et en danger mais n’en est pas conscient. J’ai vu un certain nombre de personnes parler de cette façon de ces personnes, les ” autres victimes “, les larmes aux yeux. L’histoire étaye la perspective du Falun Gong ici, car comment pourrait-on voir autrement, disons, les jeunes d’Allemagne qui, par un régime quotidien de divagations antisémites, ont appris avec le temps à haïr les Juifs et même à prendre part à leur massacre.

Bien que la plupart des Falun Gong de Chine n’aient probablement jamais entendu parler de Martin Luther King Jr, ils semblent témoigner quotidiennement en faveur de sa déclaration : “Au centre de la non-violence se trouve le principe de l’amour.”

Des bannières à la bande passante

Un policier chinois (à droite) s’approche de pratiquants de Falun Gong sur la place Tiananmen alors qu’ils tiennent une bannière sur laquelle on peut lire “Vérité Compassion Tolérance”.

De cette conviction est née une incroyable suite d’actes improbables et méconnus d’un courage extraordinaire. Des actes de la part de ceux dont on pourrait s’attendre le moins – les personnes âgées, les jeunes, les personnes brisées – pour être une force de changement en Chine. Ce qui n’était au départ qu’une simple demande d’espace de respiration s’est transformé en un effort massif en faveur des droits, impliquant un éventail stupéfiant de participants et de moyens. Peu d’Occidentaux ont une idée de l’Histoire en cours.

Au début, les efforts du Falun Gong étaient guidés par la conviction, parfois naïve, que la persécution était en fait un malentendu colossal. En d’autres termes, les dirigeants du parti communiste s’étaient en quelque sorte trompés ; ils ne comprenaient pas vraiment ce qu’était le Falun Gong. Comment cela aurait-il pu se produire, se rappellent de nombreuses personnes, alors que ce groupe, qui n’a aucune ambition politique, s’efforce seulement d’offrir les meilleurs des citoyens et des voisins ?

Les pratiquants se sont donc rendus dans la capitale, Pékin, et dans d’autres centres provinciaux pour adresser une pétition aux autorités. Depuis l’aube de l’empire chinois, un système permettant aux citoyens d’adresser des “pétitions” au souverain a été mis en place, offrant aux citoyens ordinaires un moyen d’exprimer leurs griefs et de demander réparation. Selon Human Rights Watch, pas moins de 10 millions de pétitions ont été déposées au cours d’une année récente et, à tout moment, quelque 10 000 personnes (“pétitionnaires”, comme on les appelle) peuvent se presser dans les rues de Pékin.

C’était donc un premier recours naturel lorsque l’interdiction a été annoncée le 22 juillet 1999. Et en effet, quelques mois auparavant, le 25 avril, une résolution heureuse semblait avoir été trouvée lorsque plusieurs milliers de Falun Gong avaient adressé une pétition au gouvernement central ; le Premier ministre de l’époque, Zhu Rongji, avait personnellement rencontré des représentants des Falun Gong et leur avait donné des garanties.

Ce que les pratiquants étaient loin d’imaginer, cependant, c’est à quel point les autorités se désintéressaient des préoccupations du Falun Gong. Des milliers de personnes se sont retrouvées arrêtées pour avoir essayé de faire une pétition, bien que ce soit un droit reconnu par l’État. En peu de temps, on a appris que tous les bureaux de pétition avaient reçu l’ordre d’arrêter tout Falun Gong qui franchissait leur porte. Jiang Zemin, qui avait ordonné leur éradication, aurait brûlé des barils entiers de lettres qui lui avaient été envoyées par des membres du groupe assailli.

Très vite, la violence s’est invitée dans le tableau, avec une fréquence et un degré croissants. Des témoins rapportent des passages à tabac en public. Des décès sont révélés. Et les médias d’information n’avaient manifestement qu’un seul objectif, celui dicté par le Parti. À la fin du premier mois de la campagne, le Quotidien du Peuple, la voix du Parti, avait publié 347 articles condamnant le Falun Gong. Des marathons de propagande sont alors diffusés 24 heures sur 24 dans les foyers de tout le pays par la télévision d’État, qualifiant le Falun Gong de menace pour la société. Et à peine sept jours après le début de la campagne, les autorités se sont vantées d’avoir confisqué plus de deux millions de livres “illégaux” sur le Falun Gong ; certaines villes ont même été le théâtre de rassemblements au cours desquels des livres étaient brûlés, tout cela avec la permission du Bureau de la sécurité publique.

Désormais, les Falun Gong avaient non seulement un groupe d’autorités à l’esprit étriqué à essayer de convaincre, mais l’ensemble des citoyens, qui risqaient d’être confus. Les adhérents ont donc rendu leurs pétitions publiques pour ainsi dire. Des lieux symboliques éminents comme la place Tiananmen sont devenus des lieux de contestation. On pouvait voir des agriculteurs, des hommes d’affaires, des infirmières, des scientifiques et même de jeunes enfants déployer des banderoles jaunes. Le message, qui se voulait avant tout éducatif, déclarait souvent “Le Falun Gong est bon !” ou “Réhabilitez le nom de Falun Dafa”.

Les autorités du parti ne se sont pas montrées plus accommodantes, comme on pouvait s’y attendre, face à ces actes. En général, les manifestants se heurtaient aux poings et aux pieds de la police chinoise, avant d’être interrogés, puis emprisonnés ou placés dans un camp de travail pendant trois ans. Le bilan est lourd et se fait sentir de manière palpable.

Avec l’année 2002, un changement de garde a eu lieu, pour ainsi dire, suivi d’une nouvelle ère d’efforts plus sophistiqués et réalistes, voire plus déterminés. C’est cette année-là qu’un groupe de 50 pratiquants de Falun Gong occidentaux s’est rendu sur la place Tiananmen et a déclaré, toujours avec une bannière jaune, simplement “Vérité, Compassion, Tolérance.” À cette époque, peu de pratiquants chinois se rendaient encore à Tiananmen, pour diverses raisons, et encore moins par la suite. C’est le début d’une nouvelle ère, même si, curieusement, Tiananmen n’aura que peu d’importance. Désormais, les efforts s’étendent à chaque ville, rue, ruelle et maison.

En mars de la même année, les pratiquants de Falun Gong de la ville de Changchun, dans le nord-est du pays (le lieu de naissance de la pratique, notamment), ont réussi à se brancher sur les lignes d’un grand réseau câblé et à remplacer la programmation normale par une vidéo d’information sur le Falun Gong. Le film a été diffusé sur huit chaînes différentes et a duré quarante-cinq minutes. Pour des milliers d’habitants de la ville, c’était la première fois en trois ans qu’ils avaient accès à des informations indépendantes sur la pratique et sa situation critique ; le simple fait d’essayer de lire des informations sur le Falun Gong en ligne pouvait vous conduire en prison. Le gouvernement, tant local que central, est tellement ébranlé que la loi martiale est ordonnée à Changchun et une chasse à l’homme est lancée. L’ordre est ainsi donné de “tirer pour tuer” et de “tirer à vue” sur toute personne vue en train de tenter une nouvelle interception. Les personnes impliquées dans cet action ont fini par être retrouvées, torturées et tuées.

Des rapports faisant état de prouesses techniques similaires sont bientôt arrivés d’autres provinces, comme le Sichuan et le Liaoning, avec des réactions identiques de la part du Parti. Les enjeux des deux côtés avaient augmenté de façon exponentielle.

C’est également à cette époque que des imprimeries clandestines, appelées “sites de production de matériaux” par les personnes concernées, ont commencé à proliférer dans tout le pays. Elles étaient la réponse la plus proche de la Chine aux médias de base dans un paysage médiatique monopolisé par le Parti-État. Humbles et grossièrement construits, ces sites étaient souvent cachés dans un coin de la maison d’un pratiquant de Falun Gong. Dans leur forme la plus élémentaire, ils comportaient une imprimante, parfois une photocopieuse et souvent un ordinateur. C’est là, dans des locaux exigus, que des personnes déterminées constituent un ensemble de médias faits maison, généralement des prospectus, des brochures et des VCD.

Puis, généralement à la faveur de la nuit, des équipes de pratiquants (ou parfois des personnes seules) partaient distribuer les documents dans une région donnée. À l’aube, on pouvait voir des prospectus dans des paniers à vélo et affichés sur les murs de la ville, des VCD glissés sous les portes d’entrée ou des brochures cachées sous des essuie-glaces ou parfois dans une boîte aux lettres. En mars 2002, le Washington Post avait signalé que des milliers de VCD apparaissaient dans les grandes villes. Entre-temps, une femme qui s’est depuis échappée de Chine, Wang Yuzhi, décrit dans ses mémoires Chuanyue Shengsi (Traverser la frontière de la vie et de la mort) que, dès le milieu de l’année 2001, elle avait imprimé en trois jours plusieurs centaines de milliers de tracts, que d’autres personnes de la province de Heilongjiang avaient ensuite distribués. Pour Mme Wang comme pour toutes les autres personnes, toutes les dépenses sont payées de leur poche.

Avec le temps, les sites de production de matériel n’ont fait que s’étoffer, tout comme la distribution. Plusieurs villes signalent maintenant que des citoyens ordinaires, non membres du Falun Gong, se lancent dans l’impression et la distribution de ces documents.

Les bannières se déploient toujours en faveur du Falun Gong en Chine, mais d’une manière beaucoup moins géographiquement concentrée qu’au cours des deux premières années. Alors qu’avant Tiananmen était l’endroit où toutes les plus jolies bannières étaient montrées, ces dernières années, elles se sont multipliées et répandues dans un éventail toujours plus innovant de lieux et d’espaces. Un matin, on peut se réveiller et voir des banderoles accrochées à des ponts, à des balcons d’appartements, à des arbres, à des poteaux téléphoniques et même aux murs du poste de police local.

Mais dernièrement ce ne sont pas seulement les slogans affirmant que le Falun Gong est une bonne chose qui sont accrochés. Des affiches dénonçant les personnes ou les entités responsables de la persécution sont désormais affichées dans des endroits ciblés lorsque des problèmes sont révélés. Les pratiquants de Falun Gong parcourent souvent une zone donnée après avoir appris que des violations des droits, souvent des tortures, ont été commises par un certain policier ou fonctionnaire. L’idée est de “dénoncer localement”, comme on l’appelle, et l’effet est souvent immédiat et palpable. Un gardien de prison violent peut se réveiller un jour et voir des prospectus affichés sur les murs de son immeuble, détaillant ses actes de méchanceté au centre de détention local ; les voisins auront probablement reçu le prospectus, tout comme sa famille, ses collègues de travail et une foule d’autres personnes. Dans un pays où “sauver la face” règne en maître, l’expérience montre que les voyous peuvent être “remis à leur place”, pour ainsi dire.

Des dénonciations de ce genre prennent toutefois plus de poids lorsqu’elles sont mises en ligne et portées à l’attention du monde extérieur. Bien qu’il ne soit pas facile de faire sortir de telles informations de Chine, des volumes importants parviennent tout de même à passer. Le site web “Fawanghuihui.org” (“Réseau de Justice Etendu “), qui présente à tout moment les profils de pas moins de 51 000 “malfaiteurs”, constitue un élément formidable de ce dispositif. Une information type comprend le nom de la personne ayant autorité, son unité de travail, son sexe, son poste et son numéro de téléphone.

La dernière partie – un numéro de téléphone – est cruciale et est liée à un autre effort de la base aux proportions incroyables : les appels téléphoniques. Les bureaux de pétition étant fermés aux Falun Gong et les tribunaux n’offrant aucun recours, les pratiquants ont dû devenir un système juridique à part entière. Si des sites Web tels que Fawanghuihui.org et Minghui.org font office de tribunaux virtuels, les appels téléphoniques aux auteurs de délits font certainement partie des sentences. Dans toute la Chine et dans des pays du monde entier, des pratiquants passent nombre d’appels – d’une quantité stupéfiante – aux personnes les plus directement responsables des souffrances des Falun Gong.

Mais qu’espèrent-ils ? Il ne s’agit pas tant de “faire honte” dans ce cas. Il s’agit plutôt de revenir aux convictions partagées par les pratiquants du Falun Gong. La principale d’entre elles est que chaque être humain, quelle que soit la bassesse de ses actes, contient en lui les germes de la bonté, et qu’à ce titre, il doit être respecté. Tendre la main est considéré comme un acte de compassion; l’agresseur se fait du mal à lui-même, en fin de compte, lorsqu’il en fait aux autres. Nombreux sont ceux qui décrivent leurs conversations téléphoniques comme des tentatives pour “réveiller” le côté “bon” de l’agresseur, pour éveiller sa conscience. Certains officiels ont déclaré ouvertement au téléphone : “Je ne ferai plus jamais de mal à votre peuple – j’avais tort.” Les victoires dans la vie prennent de nombreuses formes.

Étant donné qu’aucun espace public n’est autorisé au Falun Gong en Chine, c’est-à-dire qu’aucun lieu où se retrouver et se rencontrer n’est accordé, les victoires de ce genre sont partagées dans des espaces virtuels, comme Internet. Aucune entité n’est plus importante ici que le site Minghui.org. Ce site, qui a été créé dès le 21 juin 1999, génère des liens entre les communautés, tant en Chine que dans le monde entier, et il fait bien plus encore. Il produit toute une série de publications prêtes à être imprimées et distribuées en Chine, proposant même de brèves vidéos à graver sur CD, avec un choix d’étiquettes variés et discrets. On y trouve même les rouages d’une protestation non violente réussie : l’une des pages Web présente un schéma des pièces et de l’assemblage d’un lance-bannière (faute d’un meilleur terme) qui permet de lancer et de déployer une bannière sur la cime des arbres ou sur les fils téléphoniques, hors de portée.

La publication quotidienne en ligne du site, quant à elle, est devenue une véritable mine d’informations et d’inspiration. Les rapports sur la persécution en Chine référencient les actes de torture et identifient les victimes qui ont besoin d’aide ; les comptes rendus d’activités dans le monde entier donnent de l’espoir et sensibilisent le public ; les forums offrent un lieu d’échange d’idées ; les écrits personnels racontent l’évolution des personnes grâce à la pratique et leur courage face à l’oppression ; et bien sûr, les “déclarations solennelles” permettent à ceux qui ont été brisés par la torture et le lavage de cerveau de prendre un nouveau départ. Chaque jour, le site peut recevoir des communications de plusieurs centaines de personnes.

Bien entendu, ce n’est pas aussi facile qu’il y paraît : Minghui.org et tous ses sites pairs sont interdits par le régime chinois, et le seul fait de consulter leurs pages Web depuis la Chine – si vous parvenez à échapper aux blocus d’Internet – peut vous valoir un séjour en prison.

Là encore, un effort international coordonné s’avère essentiel.  Les pratiquants de Falun Gong en Occident ont, depuis les premiers jours de la persécution, travaillé avec acharnement pour développer et déployer des technologies Internet permettant de briser la censure du régime, et ont obtenu des succès incroyables. Voici quelques exemples : En 2005, les sites Web débloqués par le logiciel du Falun Gong ont reçu en moyenne plus de 30 millions de visites par jour de la part d’utilisateurs chinois. Des sites Web tels que Voice of America et Radio Free Asia sont devenus accessibles aux Chinois grâce à ces technologies, tout comme les versions non censurées de moteurs de recherche tels que Google. Aucun autre groupe de militants Internet n’a réussi à s’approcher, de près ou de loin, de ce degré de réussite. Et ce, bien que presque tout soit autofinancé et réalisé sur la base du bénévolat.

En effet, “un petit groupe d’esprits déterminés” peut, s’il est “animé d’une foi inextinguible en sa mission”, modifier le cours même de l’histoire. Gandhi le savait de première main.

Le soutien via Internet n’est toutefois qu’un des nombreux moyens pour leur venir en aide depuis l’étranger. Les pratiquants de Falun Gong en Occident ont égalé les sacrifices de leurs homologues de Chine continentale à leur manière, pourrait-on dire. Par exemple, alors que certains pratiquants en Chine appelaient les prisons et les camps de travail pour parler avec les gardiens violents, les pratiquants hors de Chine faisaient de même. On estime qu’en 2005, de 30 à 40 millions d’appels avaient été passés. Les lignes téléphoniques ont également été mises à contribution par le biais du fax, les pratiquants étrangers envoyant en moyenne 300 000 fax vers la Chine chaque mois. De même, une très grande proportion des Falun Gong ont envoyé des VCD d’information et diverses publications en Chine, et continuent de le faire.

D’autres efforts de la communauté étrangère ont consisté en une utilisation intensive des salons de discussion sur Internet ainsi qu’en la diffusion de programmes de radio et de télévision par satellite en Chine. Tout cela, une fois encore, sans aucune compensation financière et sur la base du bénévolat et du temps libre. Tel est le pouvoir de la conviction.

Démissionner du parti

Après près plus de deux décennies de brutalités, d’humiliations et de privations en raison de leur croyance spirituelle, les Falun Gong en Chine ont pu constater de visu les rouages de l’appareil de persécution. Le temps écoulé a permis de faire une évaluation plus précise, beaucoup moins optimiste, pourrait-on dire.

Alors qu’à l’origine, il était possible d’identifier certains personnages clés à l’origine de cet horrible désordre (par exemple, Jiang Zemin, Luo Gan et Li Lanqing) et que de nombreux responsables montraient clairement leur désaccord avec ces mesures violentes (par exemple, Zhu Rongji), avec le temps, cette distinction est devenue de moins en moins claire; les tactiques musclées et les purges répétées éliminèrent progressivement les voix discordantes dans les rangs du parti, consolidant ainsi l’appareil répressif. Être en désaccord équivalait à mettre sa carrière en danger. Les personnes les plus énergiques dans l’exécution de la répression ont rapidement gravi les échelons, les incitations étant liées à l’obéissance à tous les niveaux du système.

Il est devenu évident que le système du parti communiste lui-même était le problème. “Il était pourri jusqu’à la moelle”, déclare Erping Zhang, porte-parole du Falun Gong basé à New York. “Changer ou essayer de réparer une partie, par exemple les tribunaux, n’a aucun sens, quand tout, des médias au système éducatif en passant par les camps de travail, est contrôlé par le Parti et fait pour servir le Parti. Le problème est systémique au-delà de tout ce qu’on peut imaginer.”

Zhao Ming, qui a été torturé dans le camp de travail de Tuanhe à Pékin, se fait l’écho de l’interprétation de M. Zhang. “Ils font cela depuis le tout début de l’histoire de la République populaire de Chine. Pendant la ‘Révolution culturelle’, ils ont détruit et anéanti toutes les croyances traditionnelles chinoises, y compris le confucianisme, le bouddhisme et le taoïsme. Aucun Occidental ne peut comprendre cela. Je dirais qu’on ne peut pas comprendre leurs actions lorsqu’on a un esprit normal”.

Pour beaucoup, l’intensité de la cruauté et de la haine dont ils ont été victimes de la part du Parti a suscité, comme pour Zhang et Zhao, une remise en question. S’agissait-il seulement du Falun Gong ? Ou le Parti avait-il déjà agi de la sorte auparavant, et sous d’autres formes ?

La réponse se trouve dans une critique en neuf parties du parti communiste, intitulée “Neuf commentaires sur le parti communiste chinois” ou “Jiu-ping” (“Neuf commentaires”), d’après le nom chinois. La série a été publiée par un journal chinois appelé Dajiyuan (The Epoch Times), auquel un certain nombre de Falun Gong consacrent du temps. Un mois seulement après sa publication (novembre 2004), de véritables ondes de choc ont été envoyées dans les couloirs des dirigeants de la Chine et dans tout le pays. À cette époque, Meng Weizai, ex directeur du Bureau chinois des arts et de la littérature, ainsi que Huang Xiaoming, médaillé olympique, avaient déclaré qu’ils quittaient le Parti. L’agence de presse étatique Xinhua (porte-parole du gouvernement chinois) a publié tant de démentis officiels de ces démissions, qu’elle a en quelque sorte confirmé ce nombre impressionnant de démissions.

D’autres actions du Parti, tout aussi déroutantes, ont rapidement suivi, comme des sessions d’étude obligatoires et des campagnes visant à renforcer la “discipline du Parti” et à “préserver la nature avant-gardiste” du Parti. Les dirigeants étaient-ils inquiets ? L’intérêt pour les « Commentaires » n’en est devenu que plus vif.

En peu de temps, les démissions quotidiennes du Parti, qui étaient à l’origine de l’ordre de 100 à 200, se sont multiplié par milliers ; au moment où nous écrivons ces lignes, 398 610 942 personnes au total ont démissionné du parti, alors qu’en juin 2007, le chiffre était de 958 587 (il est à noter que le terme “démission” fait référence au PCC lui-même ainsi qu’à ses deux organisations affiliées – la Ligue de la jeunesse et les Jeunes pionniers, que beaucoup rejoignent en Chine en prêtant le “serment du sang” à un jeune âge).

Mais pourquoi une réaction aussi spectaculaire, et de la part d’un si grand nombre de personnes ? Stephen Gregory, rédacteur en chef de Epoch Times, suggère qu’ “après 55 ans de mensonges et de terreur, le peuple chinois a maintenant l’occasion de connaître sa véritable histoire. Pour la première fois, ils peuvent partager entre eux les pertes considérables qu’ils ont subies sous le régime du Parti communiste chinois. Pour la première fois, ils peuvent prendre du recul par rapport au cauchemar communiste et considérer la beauté et la signification de l’ancienne civilisation que le parti communiste a travaillé si dur pour le détruire.”

Les remarques de Stephen Gregory suggèrent donc deux points importants. Premièrement, pour beaucoup, les « Commentaires » et la possibilité de rompre avec le Parti sont presque cathartiques, une purification de l’âme, une occasion de guérison et de réconciliation avec soi-même et avec le passé. Deuxièmement, il s’agit également d’une reconquête – une reconquête de la culture et de l’histoire chinoises, qui ont toutes deux été captives des caprices du Parti pendant plus de soixante-dix ans. Le communisme, comme les « Commentaires » le montrent de manière poignante, est le produit de la pensée européenne du XIXe siècle, et non de la Chine traditionnelle.

Dans cette optique, on pourrait dire que les « Commentaires » représentent un acte de dépolitisation, plutôt que l’inverse. En d’autres termes, ils cherchent à démêler le spectre du communisme de tout ce qui fait la Chine sur laquelle il s’est greffé et qu’il a politisé de la manière la plus vile qui soit – imaginez Confucius qualifié de “contre-révolutionnaire” ou les enfants obligés de briser des statues bouddhistes parce qu’elles sont une “superstition féodale”. De même, pour le Falun Gong, il s’agit de l’acte ultime de dépolitisation dans la mesure où les « Commentaires » sont une invitation personnelle au renouveau et à la récupération de soi – un soi libre de la politique du Parti, libre de violences arbitraires, délivré d’une terrible cruauté. C’est le summum de la résistance non violente : la résistance, ou le changement, au niveau de l’âme. 

L’impact

Si les bannières ne sont pas nécessairement un bon indicateur des choses, les déclarations publiques de la population, en revanche, le sont. Un nombre croissant de voix provenant de toute la Chine suggère que tous les efforts du Falun Gong ont un impact, et un impact énorme.

Dès les années 2000, les personnalités chinoises ont commencé à citer l’exemple des actions non violentes des Falun Gong. Selon un rapport de Reuters datant de septembre 2000, le poète chinois Huang Beiling avait “appelé les intellectuels du pays à suivre l’exemple des pratiquants de Falun Gong en combattant l’oppression du gouvernement par une désobéissance civile généralisée”. L’article citait Huang Beiling qui disait : “Ils font cela de manière pacifique. Lorsqu’ils sont frappés, ils ne ripostent pas. La communauté intellectuelle devrait faire de même.”

Liu Binyan, souvent appelé “la conscience de la Chine”, journaliste le plus important du pays depuis ces 70 dernières années, a décrit le Falun Gong comme faisant preuve d’un “courage sans précédent”, expliquant que “ces personnes insistent pour faire valoir leurs droits alors qu’elles savent parfaitement qu’elles seront arrêtées et que certaines risquent même la peine de mort. Ce genre d’attitude est sans précédent dans les 70 ans d’histoire de la RPC”.

Cette attitude, et les actions menées par les Falun Gong en Chine pour transmettre cette pratique autour d’eux, suscitent une admiration que l’on n’avait pas vue les premières années. A l’occasion de la nouvelle année, par exemple, des centaines de vœux de fin d’année adressés à M. Li Hongzhi, le maître du Falun Gong, sont publiés en ligne. La particularité de ces vœux est qu’ils ne proviennent pas seulement de pratiquants de Falun Gong, mais de sympathisants et d’observateurs qui s’inspirent du comportement des Falun Gong. M. Hu Ping, un intellectuel et auteur chinois de premier plan, a décrit l’épissage des câbles par le Falun Gong (voir paragraphe : « Des Bannières À La Bande Passante ») comme un “exploit stupéfiant” et a qualifié le personnage principal, Liu Chengjun, de “héros du Falun Gong” et de “martyr de la lutte pour la liberté d’expression”.

L’impact des « Commentaires » a été particulièrement visible. Prenez par exemple l’appel lancé plus récemment par Gao Zhisheng, un chrétien et l’un des avocats les plus éminents de Chine. “En ce qui concerne la manière d’apporter un changement non violent, je dirais que le Falun Gong a réussi à trouver un moyen d’apporter un changement qui ne fera pas couler une seule goutte de sang. Cette approche consiste à persuader les gens de quitter ce Parti malfaisant- un parti qui a commis toutes les formes de mal imaginables dans ce monde. Ma suggestion est de quitter le Parti et de se rapprocher de Dieu !” Gao, pour mémoire, a qualifié sa propre démission du Parti de “jour de [ma] vie dont je suis le plus fier”.

Ces dernières années ont été marquées par un certain nombre de transfuges de la Chine, chacun ayant une histoire impliquant le Falun Gong et un changement profond. Chen Yonglin, par exemple, qui était consul pour les affaires politiques du consulat général de Chine à Sydney, en a eu assez de son travail, qui consistait essentiellement à espionner (illégalement) les pratiquants locaux de Falun Gong. Un transfuge repenti (au Canada), Han Guangsheng, était chef du bureau de la justice de la ville de Shenyang et supervisait les camps où les Falun Gong étaient torturés. Un autre, Hao Fengjun, qui s’est échappé en Australie, était officier de police au tristement célèbre bureau 610, organisme extra légal créé par Jiang Zemin, et chargé d’éradiquer les Falun Gong.

Chacun d’entre eux s’est exprimé selon sa propre conviction et suite à des regrets, sachant pertinemment les risques qu’il encourait en rendant l’affaire publique.

Tous trois ont déclaré que c’est la lecture des « Commentaires » qui les a incités à rompre avec le PCC.

Bien que les autorités du Parti aient tenté de minimiser l’impact des « Commentaires », cette démarche est née de la peur et non de la confiance. Jugez plutôt: Une étude réalisée en 2005 par l’OpenNet Initiative – un projet de collaboration entre les instituts de l’Université de Toronto, de Harvard et de Cambridge – a révélé que 90 % des sites Web chinois testés contenant des références aux “Neuf Commentaires” (Jiu-ping) étaient bloqués en Chine – l’un des trois ratios les plus élevés de l’étude.

Le retournement de situation le plus spectaculaire est peut-être celui des masses de Chinois qui ont été et qui sont toujours contraints de maltraiter les Falun Gong. Des citoyens chinois – des citoyens moyens, ne pratiquant pas le Falun Gong – écrivent eux-mêmes des “déclarations solennelles”, comme celles dont il a été question plus haut dans cet article, pour les publier sur Minghui.org. L’un après l’autre, ils décrivent avoir été intimidés, contraints et menacés pour s’être opposés au Falun Gong.

Dans un récit émouvant, un homme nommé Feng décrit comment les émissions télévisées de propagande de l’État diabolisant le Falun Gong l’ont terrifié. Il avait tellement peur du livre de Falun Gong qui se trouvait chez lui à l’époque qu’il a décidé de le brûler. Peu de temps après, il est tombé gravement malade. Lors d’une rencontre fortuite avec un ami, il est tombé sur l’une des publications de Minghui.org, que les pratiquants de Falun Gong en Chine avaient imprimée après avoir accédé au site grâce à une technologie permettant de passer outre les pare-feu internet. C’est alors qu’il a réalisé que les émissions de télévision l’avaient programmé pour haïr, tout comme les journaux d’État. “Les Falun Gong ne devraient pas être persécutés”, a donc attesté M. Feng dans sa déclaration, et il a juré de changer pour devenir meilleur ; il a commencé à se réciter en silence “Vérité, Compassion, Tolérance” – les vertus directrices du Falun Gong – pour découvrir, quelques jours plus tard, que “tous mes maux avaient disparu !”. M. Feng termine sa lettre en demandant pardon.

À ce jour, des dizaines de milliers de déclarations publiques comme celle de Feng ont été publiées en ligne, et plusieurs centaines d’autres sont soumises chaque semaine.

Même ceux qui ne se sont pas amendés ont apporté leur soutien tacite à cet élan croissant. L’histoire, semblent-ils savoir, n’est pas de leur côté. Chen Yonglin a indiqué, par exemple, que de nombreux responsables du Parti de haut rang ont commencé à envoyer avec anxiété des membres de leur famille à l’étranger. Jiang Zemin et Zeng Qinghong, figures majeures de l’orchestration du génocide, ont essayé d’obtenir le statut d’immigrant en Australie, dit Chen Yonglin, pour eux-mêmes. “Nous allons assister à l’effondrement du Parti dans un avenir proche”, affirme-t-il avec confiance.

Un autre revirement improbable a eu lieu en 2005 lorsque plusieurs sources provenant de l’intérieur même de la Chine ont fait état d’ordres improbables donnés au sein de l’appareil de sécurité de l’État. Qu’est-ce qui était prévu cette fois-ci ? Commencer à détruire les documents liés à la campagne anti-Falun Gong. Cette mesure a été décrite comme un “travail de dissimulation” en prévision d’un revirement anticipé de la politique relative au Falun Gong.

Ou peut-être un renversement plus important : celui de la politique. Selon des sources en Chine, le 25 mars 2006, le siège du Parti de la province de Heilongjiang a publié une circulaire ordonnant la destruction de tous les documents top secrets émis par les bureaux centraux ou provinciaux du Parti. Cette fois, il ne s’agissait pas seulement du Falun Gong, mais plus largement des opérations communistes.

Le cours de l’histoire a-t-il alors déjà changé ?

L’évaluation de Hu Ping, une fois encore, semble prémonitoire. En 2004, Hu a déclaré que “le Falun Gong ne peut pas être vaincu. Le gouvernement communiste chinois est l’un des régimes politiques les plus puissants et les plus dictatoriaux du monde ; pendant cinq ans, il a mobilisé la nation entière comme une seule machine pour détruire les Falun Gong, mais il n’a pas réussi. Le Falun Gong a maintenu son intégrité pendant cette épreuve terrible et sans précédent.”

“Même les personnes peu informées n’ont aucun doute sur le fait que la répression se terminera par un échec total. La vitalité du Falun Gong ne peut être sous-estimée, et ses perspectives d’avenir sont brillantes.”

Mais comment cela s’annonce-t-il pour la Chine ? Le changement doit-il être menaçant ? L’analyse de M. Hu est rassurante : “Le Falun Gong va jouer un rôle majeur dans le renouveau des valeurs morales en Chine.”