Pourquoi donc suis-je partie manifester ce jour-là à Tiananmen ?

Place Tiananmen, le 20 novembre 2001, pourquoi j’ai suivi mon instinct et pris des risques insensés ? 

Embarqués en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, comme des malfrats, sans avoir le temps d’expliquer la raison de notre pacifique photo de groupe. 

Qu’est ce qui a déclenché l’arrivée des voitures de police toutes sirènes hurlantes ? Des slogans scandés à tue-tête ? Des poings levés ? Des paroles d’accusation ? Des revendications démesurées ?

Rien de tout cela.

Une simple banderole déployée sur laquelle étaient écrits en chinois les mots : “Vérité, Bonté, Patience”, les 3 mots résumant la philosophie de vie du Falun Gong. Cette banderole a déclenché une descente de police incroyablement violente.

20 novembre 2001 manifestation de 36 pratiquants de Falun Gong sur la Place Tiananmen
Dès que les pratiquants déploient leur banderole (sur laquelle sont écrits les mots « Vérité, Bonté, Patience » en chinois et en anglais) et sont assis en méditation, les policiers se jettent sur le groupe pour arracher la banderole et les arrêter.

C’était le 20 novembre 2001, nous avons créé un effet de surprise, les autorités chinoises ne savaient pas quoi faire de nous pendant les 24 heures de notre détention.

Imaginez : 36 ressortissants étrangers. Cela signifiait 12 ambassades à qui rendre des comptes. Quel embarras pour un Etat si soucieux de son image à l’étranger et si peu scrupuleux au regard du respect des droits humains à l’intérieur de ses frontières.

Un départ en secret

Avant de me rendre à Pékin, autant vous dire que je n’ai rien dit à personne ! D’une part pour des raisons de sécurité et d’autre part parce que mes proches auraient sans doute cherché à m’en dissuader.

Il faut dire qu’il faut être un peu fou, ou kamikaze (?), ou désespéré pour aller manifester en Chine.

Alors qu’est ce qui m’a poussée à faire une chose pareille ?

20 novembre 2001 manifestation de 36 pratiquants de Falun Gong sur la Place Tiananmen
Juste avant de prendre la photo où nous étions assis en méditation avec la banderole, nous avons fait une photo de groupe, 36 amis de Falun Gong réunis, venus de 12 pays différents.

Une histoire pas comme les autres

Originaire du Nord de la France, j’ai eu une enfance heureuse, la chance de faire des études à l’étranger et de voyager jeune aux Etats-Unis, au Canada et en Chine.

Rien ne me prédestinait a priori à aller m’engager à l’autre bout du monde au risque de me faire molester, arrêter sans ménagement.

Après avoir longtemps cherché et testé toutes sortes de sports et d’arts martiaux, c’est au Canada que j’ai découvert le Falun Gong. Cette discipline méditative répondait à mon attirance pour les philosophies asiatiques et ma passion pour l’exercice physique et le bienêtre corporel.

Rien ne m’y prédisposait

En apparence cette expérience vous paraît un peu unique, mais en réalité mon histoire ressemble à celle de millions d’autres.

Le Falun Gong a littéralement changé ma vie, et l’a rendue tellement meilleure ! Pour faire court : relations apaisées avec mes proches, goût à la vie retrouvé, capacité à gérer les conflits, bien-être quotidien par de la gymnastique méditative. Tous ces bénéfices du quotidien m’ont été apportés par la pratique des exercices, de la méditation et en suivant les principes qui sous-tendent le Falun Gong : « Vérité», Bonté, Patience ». Que demander de plus ?

Aussitôt que j’ai découvert cette méthode et la persécution dont ses pratiquants sont l’objet en Chine continentale, j’ai commencé à traduire les témoignages de pratiquants de Falun Gong victimes de torture en Chine. Je faisais cela bénévolement, dès que j’avais du temps libre dans ma vie trépidante de “working girl” parisienne. Chaque semaine on m’envoyait des témoignages à traduire de l’anglais. Mais en chinois il y en avait beaucoup plus.

Des témoignages comme celui-ci j’en traduisais tous les jours :

Mme Chen Yulian, de la ville de Nanchang, a été emmenée à la prison pour femmes de la province du Jiangxi fin 2019 pour y purger une peine de huit ans. Comme elle refusait de renoncer à sa croyance, les gardiennes ont demandé aux détenues de l’attacher au cadre d’une fenêtre et de placer devant elle des papiers sur lesquels étaient écrits des propos diffamatoires au sujet du Falun Gong. Elle ne pouvait pas marcher après avoir été privée de nourriture pendant quelques jours. Les gardiennes lui ont alors attrapé les jambes et l’ont traînée dans les escaliers. La plus grande partie de son corps a été exposée et sa tête a heurté les marches.” (Source : Minghui.org)

Je n’avais jamais milité, pour aucune cause, encore moins
publiquement. J’étais même plutôt discrète, réservée et peureuse aussi.

Toutefois, ces comptes-rendus me bouleversaient et me révoltaient. Ma mission envers ces pratiquants « du bout du monde » devait-elle se borner à traduire ces quelques témoignages ?

Ainsi quand un ami pratiquant m’a demandé si je voulais me joindre à d’autres Occidentaux pour aller manifester à Tiananmen, je n’ai pas hésité une seconde.


20 novembre 2001 manifestation de 36 pratiquants de Falun Gong sur la Place Tiananmen
20 novembre 2001, Place Tiananmen. 36 pratiquants de Falun Gong, venus de 12 pays différents, ont fait appel pacifiquement pour demander la fin des persécutions contre Falun Gong en Chine. En blanc (1er rang, 3e en partant de la gauche), la Française, Hélène Tong (Petit).

Un sentiment d’indignation et d’impuissance

A l’époque –  et c’est toujours le cas 21 ans plus tard malheureusement –  les médias en dehors de Chine parlaient peu voire pas du tout de la persécution du Falun Gong. Il leur arrivait même de reprendre les termes diffamatoires diffusés par les médias de l’Etat chinois.

Les Anglais ont une expression pour cela : “add insult to injury”. (« ajouter une insulte à une blessure »). Non seulement les Falun Gong étaient persécutés en Chine, mais on n’en parlait pas du tout en Chine, ni à l’étranger et quand on en parlait c’était pour les diffamer. Cette situation basée sur le mensonge et la diffamation n’était plus supportable, je trouvais cela tellement injuste et frustrant, je me sentais impuissante.

Pour moi, manifester a été un moyen d’agir, de ne plus subir cette injustice, de passer le message, de mon propre chef et publiquement, pas seulement en France comme je le faisais chaque dimanche sur la Place des Droits de l’homme au Trocadéro, mais directement sur le sol où se produisaient ces tortures dont je traduisais le récit au quotidien. Se « jeter dans la gueule du loup » semblait la seule manière de montrer au peuple chinois opprimé que leur sort ne nous était pas indifférent.

Est-ce que cela a servi à quelque chose ?

Contre toute attente, mes amis et moi-même en sommes sortis vivants, sans doute parce que nous n’étions pas citoyens chinois. Et c’est heureux que le Parti État ait eu peur des représailles éventuelles si des ressortissants étrangers subissaient le même sort que les Falun Gong chinois eux-mêmes.

C’est bien des années plus tard, en 2012, que ma démarche a pris tout son sens.  A son arrivée de Chine, un réfugié m’a raconté combien notre manifestation lui avait redonné du courage. Alors qu’il était enfermé, torturé, isolé des siens, un jour, par le poste radio qu’écoutaient les policiers dans une pièce à côté de sa cellule, il a entendu que des Falun Gong occidentaux avaient manifesté sur la Place Tiananmen. Vous rendez-vous compte ! Pour un prisonnier enfermé pour ses convictions (on peut, en Chine, être enfermé pour une durée indéterminée et dans des conditions plus qu’inhumaines tout bonnement car on ne pense pas comme l’ordonne l’Etat !), entendre que des Occidentaux ont bravé tous les dangers pour vous soutenir ! Combien de prisonniers ont pu être réconfortés par cette seule idée du soutien de quelques Occidentaux un peu fous, osant braver les policiers et leurs matraques !

J’étais profondément touchée d’apprendre, par un témoin
direct, l’effet qu’avait produit notre manifestation sur ceux précisément que nous étions venus soutenir. Notre action lui avait redonné l’espoir.

Cet homme dont je vous parle, Wang Zhe, a eu un courage inouï puisqu’il a survécu à des tortures qui ont été d’autant plus cruelles qu’il s’est élevé contre un meurtre dont il a été témoin, aux mains des policiers, en détention. Toute son histoire est poignante, elle est racontée ici.

Au plus haut niveau, il y a eu deux effets, le premier, immédiat quand notre manifestation a attiré l’attention du monde entier sur ces graves violations des droits de l’homme commises par le Parti État. Par l’Ambassade d’Allemagne qui était en contact avec certains d’entre nous, nous avons appris que le régime chinois avait totalement été pris au dépourvu. Quelle dérision : une poignée de personnes sincères et déterminées peuvent donc mettre à mal une superpuissance policière !

Et l’autre, de retour effet, en France, quand la justice française s’est saisie de ma plainte.

L’affront suprême

Une fois de retour en France, j’ai pu porter plainte car j’avais été frappée par les policiers chinois lors de cette arrestation.

Mon avocat Maître William Bourdon a rendu hommage
“au courage et à l’indépendance (de la) juge d’instruction” Noria Faucherie qui a envoyé une commission rogatoire à Pékin contre le vice-Premier ministre Li Lanqing et le ministre de la Culture Sun Jiazheng, respectivement pour “crimes de torture et complicité dans la répression du Falun Gong“.

Les autorités chinoises ont refusé d’exécuter la commission
rogatoire trahissant leur sentiment d’affront et leur arrogance impunie d’être au dessus des lois. “Dès qu’on touche au cœur de la raison d’Etat, on se heurte à une muraille imprenable” a expliqué l’avocat.

Notre mobilisation peut sembler dérisoire mais au fond elle a permis de montrer que le Parti-Etat est un colosse aux pieds d’argile, inquiet dès que quelques personnes « intouchables » (des occidentaux) se mobilisent pour défendre ceux à qui on refuse le droit de s’exprimer, le droit de croire en une croyance juste, le droit de vivre selon des principes bons et universels.

Avec le recul, bien que les risques encourus aient été très grands et que j’aie été violentée par les autorités chinoises, je suis heureuse d’avoir pu témoigner du fait que la détermination et la sincérité qui nous animait tous, ce jour-là, sur la place Tienanmen, ont mis à mal ce régime répressif, ne serait-ce que pour quelques jours.

Chaque acte, aussi petit soit-il, a le pouvoir de changer les choses !

Voir le reportage photo ici. 👇

20 novembre 2001 manifestation de 36 pratiquants de Falun Gong sur la Place Tiananmen