Trompée pendant 25 ans!

Anne Yang, âgée de 25 ans

Anne Yang, âgée de 25 ans

Anne Yang, 25 ans, lisait avec attention les informations affichées sur son écran d’ordinateur. Puis, en silence – de peur que ses collègues n’entendent – elle commença à pleurer.

C’est à ce moment là qu’elle a réalisé qu’elle ne pouvait plus nier ce dont beaucoup de ses amis Américains lui avaient parlé.

Le gouvernement chinois lui avait menti pendant des années et cela, maintenant, Anne Yang le savait. Il lui avait menti toute sa vie durant. Mais le plus effrayant de tout, se souvient Anne Yang, c’est qu’involontairement elle avait pris part à ces mensonges.

Bien qu’Anne Yang ait reçu une formation universitaire et privilégiée en Chine et qu’elle ait été beaucoup confrontée au monde extérieur, elle n’en a pas moins été induite en erreur par son gouvernement, que ce soit au sujet des réalités historiques élémentaires ou à propos du monde d’aujourd’hui. Poussée par un sentiment patriotique, elle a été amenée à promouvoir la propagande politique de son gouvernement à l’extérieur de Chine, aux Etats-Unis. 

Ce qui rend son histoire si essentielle c’est qu’il pourrait bien s’agir de celle de nombreux Sino-Américains. En effet, ce qu’elle a vécu s’est produit de nombreuses fois dans la ville de New-York.

Un massacre déguisé

Anne Yang est arrivée aux Etats-Unis avec une bourse d’étude en 1997 après avoir étudié à l’université de Fudan dans sa Chine natale. Particulièrement brillante, créative et de bonne humeur, Anne Yang incarnait cette nouvelle génération chinoise urbaine et cosmopolite. Elle faisait partie de la « génération internet » de Chine, après tout.

« Du moins, j’étais sensée l’être », dit-elle avec un regard de méfiance. 

Anne avait grand plaisir à partager sa culture avec ses camarades de classe américains. Cependant les discussions finissaient régulièrement par prendre un tournant désagréable dès qu’un certain sujet était abordé.

« La place Tiananmen, 1989 », se souvient Anne.

Le massacre de la place de Tiananmen en 1989 était encore bien présent dans l’esprit des camarades de classe américains d’Anne Yang. Beaucoup d’entre eux venaient tout juste d’atteindre leur majorité lorsque des images à faire froid dans le dos avaient inondé les journaux télévisés en 1989- des images montrant d’innocents étudiants manifestant à Pékin abattus et littéralement écrasés par les chars d’assaut de l’armée chinoise. Pas moins de 3 000 étudiants ont été assassinés lors de ce jour fatidique du mois de juin.

Anne, cependant, se souvenait de cette journée– ou plutôt se l’imaginait – d’une toute autre manière. Son instruction en Chine, tout comme les descriptions qu’en faisaient les médias, lui avaient appris une version tout à fait contraire. 

Chose incroyable, on lui avait appris que c’étaient les étudiants qui avaient commis les tueries de Tiananmen. Des « étudiants émeutiers » s’étaient amassés sur la place et avaient attaqué les « innocents » soldats chinois. Ses manuels scolaires relataient comment des soldats avaient été cruellement brûlés par les étudiants. Dans le même temps, les chaînes de télévision d’Etat avaient même fourni des séquences montrant des chars en feu et des soldats être tués ou sévèrement brûlés par ces étudiants « émeutiers ». Les Nouvelles avaient indiqué que le régime chinois avait «sagement» et efficacement «rétabli l’ordre».

Donc à chaque fois que le sujet de Tinanmen était évoqué au cours d’une conversation, Anne expliquait consciencieusement à ses amis qu’ils avaient été « trompés ». Les Américains, insistait-elle, avaient été dupés par des « forces hostiles anti-Chine » et par la « propagande impérialiste » américaine. 

« Aucun massacre n’a eu lieu », Anne Yang s’évertuait-elle à expliquer à qui voulait bien l’entendre.

« Le gouvernement a géré tout cela d’une manière « humaine » et « bienveillante », nous a-t-on dit à l’époque, explique Anne Yang aujourd’hui. « Nous n’avons jamais su la vérité. Même à l’université, je n’ai appris que cette version des faits ».

« Avec du recul, cela paraît incroyable que le monde entier puisse connaître la vérité et que nous, le peuple chinois, qui étions les plus proches, nous ne savions absolument rien de la réalité. Et cela même des années plus tard. »

Anne a fini par découvrir la vérité au sujet de Tiananmen, mais pas avant qu’une autre tragédie similaire ne se produise en Chine. Cette fois, c’était encore plus proche de chez elle. Assez près pour qu’elle puisse en être certaine.

Et c’est ainsi que des larmes coulèrent sur les joues d’Anne Yang ce jour de juillet, il y a six ans, alors qu’elle était assise dans la salle informatique. Elle lisait des titres de journaux en provenance de Chine qui disaient, cette fois-ci, que le groupe de méditation Falun Gong était désormais interdit car il constituait une « menace» qui « mettait en danger la stabilité sociale».

Anne savait au plus profond d’elle même que c’était faux. La révélation n’en restait pas moins douloureuse : quelle était l’étendue des autres mensonges enseignés par le gouvernement chinois ?

Et à quoi avait-elle elle-même inconsciemment participé ?

Une campagne mensongère

Deux ans plus tôt, Anne et son époux avaient commencé la pratique du Falun Gong, une discipline chinoise traditionnelle qui comprend des exercices, de la méditation et le respect de principes moraux. En 1998, le gouvernement chinois a évalué à 100 millions le nombre de personnes pratiquant cette forme de yoga en Chine, soit environs 8% de la population du pays.

C’est le 20 juillet 1999 que cette pratique très prisée s’est trouvée confrontée à la tragédie. Mécontent de la grande popularité du Falun Gong, Jiang Zemin, le chef du parti communiste chinois de l’époque, a donné l’ordre d’interdire le Falun Gong et a lancé une campagne nationale pour l’« éradiquer ». Lavages de cerveau, arrestations et tortures systématiques des pratiquants: telles étaient les caractéristiques de cette répression violente. Du jour au lendemain, près de 100 millions de personnes devinrent des « criminels » en Chine du simple fait de leur croyance pacifique très appréciée.

La violence n’était cependant qu’une seule des armes utilisées par le gouvernement chinois dans son attaque. Le fer de lance de cette campagne était les médias d’État chinois, produisant un flux presque ininterrompu d’émissions et d’articles diffamant le Falun Gong. Ils le qualifièrent de « maléfique» et d’« anti-Chine», qualifiant ses pratiquants de « rats» de la société, de « criminels» ou pire encore.

Très vite, dans un mouvement qui n’est pas sans rappeler la Révolution culturelle, les autorités chinoises commencèrent à utiliser presque toutes les institutions possibles dans le but de mobiliser la population contre le Falun Gong.

Les manuels scolaires et les examens – de l’école primaire à l’université – commencèrent à inclure du contenu contre le Falun Gong, que les étudiants devaient « apprendre » pour pouvoir être admis dans la classe supérieure. Des sessions de « transformation » (lavage de cerveau) ont été mises en place dans chaque lieu de travail et dans tout le pays. Tous les pratiquants de Falun Gong ont eu pour obligation d’y assister. Le but du gouvernement n’était rien d’autre que le contrôle total de la pensée.

Des structures ont été rapidement mises en place pour mener à bien cette mission. Une agence semblable à la Gestapo, le « Bureau 610», a été créée avec pour mission de superviser « l’éradication»  du Falun Gong; ce « Bureau 610»  a reçu tout pouvoir sur les tribunaux ou la police, entre autres entités officielles. Du personnel était présent dans presque chaque bâtiment offciel et commissariat. Durant tout ce temps, les médias d’Etat ont continué de produire des rapports falsifiés, dépeignant le Falun Gong comme une menace pour la société – une menace que le « génial et glorieux » Parti communiste vaincrait, restaurant l’« ordre social » en Chine. Tout ceci faisait écho avec Tiananmen.

Le parallèle n’a pas échappé à Anne Yang ce jour douloureux, lorsqu’elle lut les gros titres. Elle a réalisé que l’histoire se répétait et qu’elle prenait simplement un autre aspect. Après les étudiants, les paisibles pratiquants étaient maintenant ciblés.

« Combien d’autres allaient pouvoir comprendre la vérité ? », s’est -elle demandé. En particulier, combien de Sino-Américains comme elle ?

Des personnes diffusent inconsciemment la propagande chinoise à New York

Au fil du temps, cette campagne sordide venant de Chine a commencé à remodeler lentement l’opinion publique vis-à-vis du Falun Gong dans une certaine mesure.

Cela s’est avéré particulièrement vrai parmi les communautés chinoises à l’étranger. Dans une certaine mesure, c’était lié à un manque d’accès à l’information. Lorsque le régime chinois a lancé la persécution, de nombreux chinois vivant aux Etats-Unis et dans d’autres pays occidentaux ne connaissaient pas vraiment le Falun Gong. Il ne s’était pas encore répandu comme en Chine, où chaque matin plein de gens se rassemblaient dans les parcs pour faire les exercices. Beaucoup n’avaient donc jamais eu l’occasion de connaître le Falun Gong par eux-mêmes.

Les autorités chinoises ont bien compris cela et s’en sont rapidement servi. Elles disposaient précisément du canal dont elles avaient besoin : les médias internationaux chinois.

Selon la Jamestown Foundation, un groupe de réflexion sur la politique étrangère de Washington DC, trois des quatre principaux journaux en langue chinoise aux États-Unis sont « directement ou indirectement contrôlés par le gouvernement de Chine continentale». Le quatrième, quant à lui, a « récemment commencé à céder aux pressions du gouvernement de Pékin».

Grâce à ces canaux, la campagne de propagande a régulièrement fait la une des journaux en langue chinoise dans tous les États-Unis. Dans la seule ville de New York, par exemple, un de ces journaux chinois a publié plus de 300 articles mensongers en l’espace de trois ans. Ces « nouvelles»,  décrivaient les pratiquants de Falun Gong comme des « criminels», des « meurtriers»,des « rebuts», etc.

Cette rhétorique a commencé à se répandre – ou à s’infiltrer – avec le temps. Avec leur pays natal englouti dans la propagande anti-Falun Gong, la presse et la télévision chinoises marchant au pas, de nombreux chinois aux États-Unis en sont venus à adopter des opinions fortement négatives à propos du Falun Gong. Pour certains, c’est allé jusqu’à le haïr. Peut-être que le plus surprenant, c’est que les Sino-Américains instruits, comme Anne avant eux, ne parvenaient guère mieux que leurs semblables à faire la part des choses entre les informations et les mensonges. Et c’est de cette façon que le Parti communiste chinois a instillé sa haine au sein des foyers et des lieux de travail dans une ville comme New-York.

Il suffit de demander à Scott Chinn.

Cet Américain, grand et large d’épaules, n’a rien de l’« ennemi public n° 1» de la Chine. Pourtant, c’est ce que Scott a ressenti à l’automne dernier, quand une collègue chinoise de l’agence de presse new-yorkaise où il travaille a appris qu’il pratiquait le Falun Gong.

Les New-Yorkais comme Scott Chinn (ci-dessus) sont souvent choqués en voyant la différence entre ce que leurs collègues chinois disent du Falun Gong et ce qu’ils savent être la réalité.

Scott déjeunait un jour avec des collègues quand la conversation a porté sur le Falun Gong. À l’autre bout de la table, Jane Zhu (pseudonyme), une collaboratrice qui travaillait dans son équipe, a explosé. Elle a crié : « Quoi ? Tu pratiques ce truc ? Je ne peux pas le croire ! » Le visage rouge de colère, elle s’est levée et est sortie en trombe du café, laissant derrière elle les convives dans un silence gêné.

« Tout le monde a été assez choqué par sa réaction, » se souvient Scott, « mais j’avais en fait déjà vu ce genre de chose auparavant. Je fais beaucoup de bénévolat pour mettre fin aux violations des droits de l’homme contre le Falun Gong en Chine, et je rencontre régulièrement des personnes qui se considèrent comme des Chinois patriotes et qui, pour cette raison, détestent le Falun Gong. »

« Ce qui est essentiel de comprendre, explique Scott Chinn, c’est que le gouvernement chinois a non seulement inventé beaucoup d’histoires pour diaboliser le Falun Gong, mais a également beaucoup fait pour brouiller le concept de « Chine» avec l’idée du « Parti communiste chinois» et de cette façon, chaque fois que le Parti désigne quelqu’un ou un groupe comme un « ennemi» , les gens pensent que ce groupe est l’ennemi de la Chine, et par extension, leur propre ennemi.»

Avoir quelqu’un en colère contre lui au bureau à cause de sa pratique spirituelle était pénible pour lui, néanmoins Scott se préoccupait davantage de sa collègue Jane.

« Imaginez détester quelqu’un pour sa croyance spirituelle et cela tout simplement parce que la propagande d’un gouvernement vous a convaincu de le faire », explique Scott.

« Ce qui est vraiment triste c’est que, de ce que je sais, Jane n’a même encore jamais rencontré quelqu’un qui pratique le Falun Gong… elle n’a jamais lu les livres du Falun Gong et elle ne m’en a certainement jamais parlé… mais alors, d’où viennent toute cette haine et cette colère? Elles sont entièrement fondées sur ce que le régime chinois a propagé.»

Il y a eu un deuxième incident révélateur. Alors que Scott se trouvait dans un bar avec des collègues pour fêter le lancement d’un nouveau produit, le sujet du Falun Gong est revenu sur le tapis. Cette fois, lorsque Jane Zhu a surpris la conversation, elle a crié en direction du groupe : « Le Falun Gong est mauvais !» et elle a quitté le bar.

Les regards sur le visage de ses collègues ont dû avoir un effet car le lendemain, Jane Zhu, gênée, s’est approchée de Scott Chinn et s’est excusée. Elle a confié : « Je ne sais pas ce qui m’a pris… Je sais que tout cela n’est que de la propagande communiste.»

Pourtant, la position du Parti sur le Falun Gong était si profondément ancrée dans l’esprit de Jane Zhu qu’elle ne pouvait pas se retenir. Ca sortait tout de même, et de manière incontrôlable. Même si, à un certain niveau, elle savait, la haine était toujours là, ancrée dans ses pensées.

« On comprend mieux maintenant comment réagissent certains Sino-Américains quand ils ne savent pas la vérité et qu’ils n’ont pas conscience d’avoir été dupés par la propagande, » Scott a ajouté.

Explosion de colère dans la salle des marchés

Kent Konkol, responsable grands comptes pour une banque d’investissement d’une ville de taille Moyenne, âgé de 34 ans, peut s’identifier à ce qu’a vécu Scott Chinn.

Au printemps 2001, Kent a reçu un courriel acerbe de son collègue chinois, Charles Liu (pseudonyme). Le contenu du courriel attaquait le Falun Gong, reprenant de nombreuses expressions utilisées dans la propagande du gouvernement chinois. Par la suite, Kent Konkol a appris que ce courriel avait été envoyé à toute l’équipe. Il s’agissait de la réaction de Charles à la question d’un autre collègue concernant la persécution du Falun Gong en Chine.

Bien que l’e-mail soit négatif vis-à-vis du Falun Gong, Kent s’y est intéressé  et a approfondi ses recherches sur la discipline, allant jusqu’à apprendre les exercices et à en lire davantage sur le sujet.

Ce n’est toutefois qu’au printemps 2004 qu’une conversation entre Kent Konkol et Charles Liu a porté sur le Falun Gong. Kent a informé son collègue qu’il s’était mis à la pratique du Falun Gong et qu’il la trouvait très bénéfique.

Kent Konkol affirme que Charles Liu, bien que poli, a exprimé des opinions très marquées contre cette pratique. « Il était très opposé à ce qu’il croyait être les principes de cette pratique», se souvient Kent Konkol. « Mais il était assez clair pour moi qu’il n’en savait pas grand-chose. Il avait, consciemment ou inconsciemment, intégré et cru ce que le gouvernement chinois propageait sur le Falun Gong. »

Peu de temps après, l’étrange aversion de Liu pour cette pratique a atteint son paroxysme, cette fois-ci aux yeux de toute la salle des marchés. Le déclencheur a été aussi improbable que révélateur.

Konkol avait lancé un journal gratuit au sein de son entreprise, qui traitait souvent des problèmes en Chine, notamment de la persécution du Falun Gong. Le journal avait gagné l’admiration des collègues de Kent Konkol, grâce à ses reportages sincères.

Son collègue Charles Liu, voyait quant à lui les choses différemment et il est parti défier Kent à son bureau.

« Il pensait que, parce que le journal parlait du Falun Gong de façon juste, c’était une espèce de complot ou quelque chose de ce genre. Il a commencé à exprimer toutes sortes d’opinions négatives sur le Falun Gong qui étaient clairement hors de propos, » se souvient Kent Konkol.

La colère de son collègue était si palpable, que leur employeur a fait venir Charles Liu, puis Kent Konkol, dans son bureau pour comprendre ce qui avait tant perturbé Charles Liu.

« Ce problème a été résolu à l’amiable», a rapporté Kent, « mais je pense que cet épisode a démontré à quel point la propagande du régime communiste chinois a atteint une portée considérable… et à quel point elle peut affecter les pensées des Chinois sur le Falun Gong, même ici à New York. »

Un espoir de dissiper la haine

Les dirigeants chinois actuels ont fait un travail efficace pour diffuser leur message de haine à New York. Ils ont organisé des rassemblements dans le quartier chinois, tenu des séminaires, érigé des panneaux de propagande dans leur consulat, acheté et fait pression sur les médias en langue chinoise, et même envoyé des courriers aux fonctionnaires du gouvernement local. Tout cela dans le but de dénigrer le Falun Gong.

Pourtant, Anne Yang garde l’espoir malgré tout. 

Anne dit qu’elle se voit elle-même (avec cinq ans de moins) dans beaucoup de chinois de son entourage, trompés à propos du Falun Gong.

« Ils sont comme je l’étais à l’époque», dit-elle. Et bien qu’il ne s’agisse pas de Tiananmen cette fois-ci, Anne Yang ajoute que, « c’est comme si nous étions en train de suivre le même scénario, et je suppose que, dans un sens, c’est ce que nous faisons. Il s’agit de celui du PPC [Parti communiste chinois]. »

Pourtant elle garde espoir que ses concitoyens chinois aux Etats-Unis aient facilement accès à une mine d’informations. « Des informations qui sont censurées en Chine, » a-t-elle ajouté.

« Le conseil que je peux donner est simple : allez à la source de l’information par vous même, » a-t-elle dit.

« Parce qu’ici, on peut le faire. »