Courrier d’un lecteur du Monde Diplomatique

Un lecteur du Monde Diplomatique également sympathisant de la cause des Falun Gong nous a fait parvenir ce courrier qu’il adresse en parallèle au courrier des lecteurs de la revue. Nous la reproduisons ici telle quelle. 

En découvrant l’article du Monde Diplomatique, daté d’août 2024, et intitulé “L’empire ésotérique du Falun Gong”, l’amusement initial a rapidement été remplacé par de la consternation. 

 

Pour cause, fidèle à sa ligne éditoriale, le « Diplo » voit comme hautement suspicieux le “soutien” apporté au Falun Gong par le monde politique américain et prend cet élément comme socle des attaques lancées tout au long de l’article. La chambre des représentants comme le Sénat américain expriment effectivement leur soutien au Falun Gong. Simple expression d’une opposition aux tortures subies en Chine par les pratiquants du Falun Gong, celui-ci est totalement trans-partisan ; il s’est répété au cours des années avec des majorités aussi bien démocrates que républicaines. Mais surtout, il est très rigoureusement suivi par le Parlement Européen qui a également multiplié les déclarations à ce sujet. Une première interrogation surgit donc à ce moment de la lecture de l’article : Pourquoi n’avoir pas cité les soutiens parlementaires au Canada, en Australie, à Taïwan et en Europe, sinon pour alimenter la thèse principale de l’article, qui est que le Falun Gong serait un outil au service des États-Unis contre le régime chinois. 

Passons sur le fait que cette ligne de discours est parfaitement calquée sur celle de Pékin qui parle de « forces anti-gouvernementales alliées à l’Occident » pour chacun des groupes qu’il réprime. Mais il y a plus grave car les pratiquants Falun Gong, d’après l’auteur de l’article, “se posent en victimes du Parti communiste chinois.” Autrement dit, ne sont pas réellement victimes de répression. Ligne après ligne, le sillon du discours s’approfondit dans ce sens.  Le Monde Diplomatique ne fait pas confiance aux parlementaires américains, pas plus qu’aux parlementaires de tous les autres pays qui se sont saisis du sujet ailleurs dans le monde. Croira-t-il davantage le Rapporteur Spécial contre la torture des Nations-Unies ? Dès 2005, celui-ci indiquait que deux tiers des cas de tortures en Chine ont pour victimes des pratiquants de Falun Gong. Malgré cela, l’article affirme qu’ « aucune organisation internationale n’a à ce jour confirmé ces allégations. » 

« Se poser en victimes » … il y aurait de quoi bondir de sa chaise. Qu’est-ce à dire, « se poser en victimes »,comme les ouighours ? Comme les tibétains ? Ou bien comme ceux qui dans l’histoire se sont « prétendus » victimes du régime soviétique et de ses goulags, ou du colonialisme, ou du régime nazi ?  A chaque étape importante de l’histoire contemporaine, ceux qui par le privilège de l’imprimerie peuvent asséner leurs certitudes passent presque systématiquement à côté de l’essentiel, et ne peuvent que balbutier après coup qu’à cette époque « on ne savait pas. »  Mais on sait, et bien : Des centaines de milliers de Chinois innocents ont subi les camps de travail forcé, autant de témoignages de première main sont disponibles, des photos sans nombre de corps brûlés, mutilés, de cadavres récupérés par leur famille, les confirmations d’autant de personnalités indépendantes, avocats, journalistes, experts de la Chine… Rien de cela pourtant ne convaincra, car l’objectif de l’article est ailleurs.

Des illuminés ?

Il devient rapidement évident que la direction dans laquelle le lecteur est emmené est celle qui doit le convaincre de la « bizarrerie » des croyances des pratiquants de Falun Gong, à laquelle trois colonnes sur cinq d’une pleine page sont consacrées.  Ceux-ci refuseraient la médecine, seraient homophobes, opposés au métissage – soit le degré supérieur du racisme – et convaincus de vivre au milieu d’extra-terrestres. Les preuves derrière ce tableau relevant presque de la psychiatrie ? D’abord, qu’on ait pu trouver dans les textes de Falun Gong le concept de « karma », à savoir le lien de cause et d’effet provoquant l’arrivée des malheurs ou bonheurs de l’existence ; celui-ci est présenté comme un fort élément attestant de l’irrationnalité du groupe. 

 

Faut-il rappeler que ce concept, vieux de plus de 2500 ans, irrigue toute la culture asiatique et se retrouve jusqu’aux textes de Platon ? Qu’on se réfère par exemple au dernier livre de La République. 

 

Si on s’était demandé sérieusement si les pratiquants de Falun Gong refusent la médecine – et qu’on avait fait du véritable journalisme – on aurait pu chercher et trouver des carnets de vaccination bien remplis et, parmi beaucoup de personnes en excellente santé, une ou deux, plus fragiles et donc évidemment régulièrement suivies par leur médecin. On aurait aussi pu trouver les textes du Falun Gong (ceux-ci ne semblent utilisés que quand ils servent la ligne directrice de l’article) qui encouragent à aller à l’hôpital en cas de maladie.

 

Le « racisme » est-il plus solidement démontré ? Il l’est, d’après l’article, par un paragraphe d’un texte du Falun Gong indiquant que chaque groupe ethnique a son origine distincte au Ciel, qui trace une connexion et un chemin de retour. Pourtant on n’a là encore pas voulu citer, semble-t-il, la suite du même texte et tous les autres dans lequel il est indiqué que toutes les races sont égales ; on n’a pas non plus voulu simplement ouvrir les yeux pour observer que les « Falun Gong » sont un grand melting pot de couleurs et de toutes les variantes de métissage imaginables. Le lecteur ironique pourrait d’ailleurs faire la démarche d’observer la composition des équipes de rédaction du « Diplo » et d’autres grands médias français, en se demandant si la diversité culturelle et ethnique y est autant présente que dans le Falun Gong.

 

Il restait une dernière chance dans cette campagne d’ostracisme, celle de l’homophobie et des affreux extra-terrestres. Ceux qui pratiquent le Falun Gong sont sans doute effectivement coupables de voir entre homme et femme la complémentarité du Ying et du Yang et de trouver encore du bon aux valeurs traditionnelles. Mais ils ont aussi, au cœur de leur croyance, la notion de Tolérance, qui va avec l’acceptation des différences et la bienveillance envers tous. Pourquoi ce point est-il passé sous silence alors qu’il transparaît à chaque page des enseignements de la méthode ? Avec ces biais, comment jugerait-on le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam dont les textes prescrivent explicitement de lapider les homosexuels ?  L’homophobie est contraire aux valeurs du Falun Gong en ce qu’elle exprime un rejet de l’autre en tant qu’être humain. 

 

Pour terminer sur le sujet brûlant des « extra-terrestres », il faut, dans les dizaines de milliers de pages de textes du Falun Gong, avoir un œil acéré ou fortement aidé par le régime chinois pour réussir à trouver trois paragraphes écrits sur le sujet, largement amplifiés par l’incompréhension occidentale du sens des caractères chinois qui ont été traduits par le mot « extraterrestre » : L’enseignement de Falun Gong considère que l’Univers tout entier est vivant, que la vie y est présente partout et sous toutes les formes, qu’elles soient visibles ou invisibles ; ceci est bien différent du concept habituel des « extraterrestres » que les grandes agences spatiales cherchent aujourd’hui à détecter sur les centaines de planètes comparables à la Terre et découvertes dans notre galaxie.

Diffamer pour déshumaniser : La responsabilité du monde des médias

Le Monde Diplomatique a donc accordé une pleine page de son édition estivale à de la mésinformation. On peut l’expliquer, dans l’hypothèse la moins brutale, par l’indéniable puissance d’attraction, et donc de ventes, des sujets bigarrés. Cependant, ceux et celles qui sont à la recherche de perspectives non biaisées ont été mal servis. Pour l’illustrer, une autre expérience simple pourrait être faite : celle d’ouvrir, au hasard, les textes du Falun Gong, qui tous sont en accès libre sur Internet.  Le décalage culturel avec la Chine surprendra sans doute puisqu’on trouvera des termes comme « vertu », « énergie », « bouddha » ; malgré cela, tout lecteur bien intentionné n’y verra, répétée inlassablement, que l’exigence de se tourner vers la bonté, de travailler sur soi pour y déraciner violence et égoïsme, de faire du bien autour de soi. Ces points ont volontairement été oubliés dans l’article du Monde diplomatique.

 

Les pratiquants du Falun Gong sont des hommes et des femmes qui pratiquent la méditation, cherchent avant tout la paix intérieure par la pratique spirituelle. Ils vivent avec leur famille, leurs amis, à l’opposé des groupes communautaires fermés auquel l’article tente de les associer. Face à eux est arqué tout le poids de la plus grande dictature du monde, avec son arsenal carcéral et répressif : la surveillance, la censure, la torture, les meurtres.

 

Contrairement à ce que tente de laisser penser l’article du Monde Diplomatique, Falun Gong ne dispose pas des ressources ou du pouvoir nécessaires pour faire face à la deuxième puissance mondiale. Les moyens qu’il déploie, en particulier avec la compagnie artistique Shen Yun, sont la meilleure façon que des victimes aient trouvé pour répondre à la noirceur des actions du régime communiste chinois : la beauté de l’art, la non-violence, le droit inaliénable d’exprimer leurs convictions. Il faut malheureusement avoir perdu tout sens de l’éthique et de la responsabilité journalistique pour ne pas le comprendre.