Comment le “Socialisme techno-médiatique” chinois contrôle l’information mondiale
Le niveau de contrôle des médias par le PCC (Parti communiste chinois) à travers le monde est déjà colossal. Il pourrait devenir pire, prévient Joshua Kurlantzick dans son nouveau livre.
L’offensive de communication de Pékin
Depuis une dizaine d’années, le régime communiste néo- post-nationaliste de la République Populaire de Chine (RPC) est devenu également néo-colonialiste. Des signes de formes de racisme sont délibérément exprimés, basés sur les génocides culturels que le Parti Communiste Chinois (PCC) au pouvoir exerce sur de nombreux peuples vivant sur les territoires de la RPC. On peut parler de néo-colonialisme 2.0. Sa stratégie passe par la communication, les médias, et majoritairement internet. Mais les médias, en tant que moyens de colonisation, doivent d’abord être eux-mêmes colonisés.
C’est ce qu’on appelle la « Route de la Soie Numérique » chinoise. Lancée en 2015, il s’agit d’une composante, ou d’une corollaire du projet « Nouvelle route de la soie », autrement dit l’un des prolongements de l’approche impérialiste du PCC pour repenser et réécrire la mondialisation (ou ce qu’il en reste).
La RPC se vante de son identité communiste bien vivante, à une époque où le pouvoir de la technologie est prédominant. Puisque les échecs historiques du communisme dans le monde ont forcé la RPC (ainsi que d’autres régimes communistes et fiers de l’être) à partiellement réviser ses tactiques (et non pas ses buts), le nom de cette nouvelle mondialisation future aux airs de PCC pourrait bien être le « socialisme technocratique ». Ou, si l’on tient compte de la colonisation massive et stratégique des médias par le PCC, le “socialisme techno-médiatique”.
L’offensive de communication de Pékin
La route de la Soie numérique est par essence un effort concerté pour contrôler le flux d’informations à l’échelle mondiale, en utilisant des outils puissants pour étendre l’influence de la Chine dans des régions bien au-delà de ses propres frontières. Le think tank américain Council on Foreign Relations, qui surveille de près la route de la Soie numérique depuis sa création, note que « certaines démocraties ont exprimé de sérieuses inquiétudes à propos de ce projet. Ils craignent qu’à l’heure où Pékin s’affirme de plus en plus sur la scène internationale, la Chine n’utilise ce projet pour permettre aux pays bénéficiaires d’adopter son modèle d’autoritarisme fondé sur la technologie, ce qui serait préjudiciable aux libertés individuelles et à la souveraineté de ces pays. Les entreprises de communication et technologie chinoises ont déjà aidé des gouvernements d’autres pays à developper des compétences d’espionnage qui pourraient être utilisées contre les groupes d’opposition, et Pékin a déjà organisé des formations pour les pays bénéficiaires intéressés sur comment surveiller et censurer internet en temps réel ».
Par ailleurs, le Council on Foreign Relations met en garde en signalant que « permettre aux entreprises chinoises de bâtir les réseaux de télécommunications de cinquième génération et d’autres infrastructures dans les pays étrangers et définir les normes technologiques dans ces derniers risque d’entraîner l’espionnage et la coercition de la politique des autres États si Pékin utilise les données récoltées pour faire du chantage à certaines élites politiques. La route de la Soie numérique pourrait également aider les pays bénéficiaires à contrôler internet de manière plus sophistiquée à travers la régulation des contenus, la localisation des données ainsi que la surveillance. Cela accélérerait la fracture de l’internet mondial, car certains pays recherchent ces politiques de contrôle d’internet tandis que d’autres demeurent engagés à respecter les libertés d’internet ».
Actuellement, le contrôle de l’information en Chine passe par une infrastructure technologique spectaculaire qui semble quasiment rendre tout possible pour les dirigeants du PCC à Pékin. Le plan d’action prévoit d’étendre l’influence des médias d’Etat tels que l’agence de presse Xinhua, et de leur donner une image de médias crédibles comparables aux organismes de presse reconnus des pays démocratiques, qui peuvent être critiques face à la propagande du PCC. Comme l’a déjà documenté « Bitter Winter » à plusieurs reprises, l’Italie reste une étude de cas d’importance internationale puisqu’elle a été le premier pays européen où la guerre de propagande et de colonisation chinoise par ses medias a eu lieu, pour ensuite devenir massive et systémique. Mais la menace est mondiale.
L’ouvrage récent complet et détaillé de Joshua Kurlantzick intitulé « Beijing’s Global Media Offensive: China’s Uneven Campaign to Influence Asia and the World » (“L’offensive médiatique mondiale de Pékin : La campagne inégale de la Chine pour influencer l’Asie et le monde “- New York: Oxford University Press, Decembre 2022), que l’auteur a résumé de façon claire dans un article conséquent du magazine international en ligne spécialisé dans ce domaine « The Diplomat », fournit l’image la plus actualisée de nombreuses informations utiles de pointe. Journaliste américain, Joshua Kurlantzick est chercheur principal pour l’Asie du Sud-Est au Council on Foreign Relations.
Comme il le montre, le régime chinois a commencé à utiliser des mandataires pour contrôler les médias en langue chinoise à l’étranger et est devenu de plus en plus habile dans le déploiement de la désinformation sur les plateformes de médias sociaux, tant au niveau national qu’international. La Chine, gouvernée par le PCC, cherche également à contrôler ce que Kurlantzick appelle les « canaux » qui sous-tendent les réseaux de communication et d’information, y compris les infrastructures physiques de télécommunications, les appareils mobiles, les domaines de l’internet des objets– autrement appelé IOT- pour Internet of Things- (« l’environnement intelligent », « l’agriculture intelligente », « la logistique intelligente », « les cycles de vie intelligents », « l’achat intelligent », « la santé intelligente », etc.) ainsi que les principaux moteurs de recherche et plateformes de réseaux sociaux, voire la technologie de l’IA.
Les limites du soft power chinois
Il est d’usage d’appeler ce type d’influence “soft power”, mais c’est tout le contraire. L’approche pourrait être « soft », mais la force impliquée est certainement « hard ». Kurlantzick révèle le vrai visage de cette démonstration de force par la Chine et sa capacité à priver le monde d’une couverture indépendante rapportant ses méfaits.
À l’échelle internationale, le pouvoir de Pékin et son emprise sur les médias visent un double objectif. Premièrement, « si Pékin contrôlait davantage les canaux d’information, il pourrait aussi, dans les pays étrangers, censurer plus facilement les histoires « négatives » et les conversations sur les réseaux sociaux et diffuser des histoires, des rumeurs, des opinions, des accusations, des flatteries et d’autres types de désinformation, ce qui n’est évidemment pas du soft power ». Deuxièmement, Pékin « pourrait utiliser ces canaux pour aider les pays étrangers à reproduire les stratégies de surveillance de la Chine et pour exporter le modèle chinois d’un internet national fermé et contrôlé, qui fait partie du modèle global d’autoritarisme basé sur la technologie ».
L’internet, qui commence avec la version interne chinoise, est bien sûr un aspect essentiel de l’offensive « techno-médiatique et socialiste » de Pékin. Ce dernier concept apparaît dans le 50ème « Rapport statistique du développement de l’internet en Chine » du China Internet Network Information Center, l’administration gouvernementale responsable de la gestion des enregistrements des domaines du pays, en date du 1er Août 2022.
Nous vivons en effet à une époque où des informations non vérifiées sont disponibles sur des appareils que les gens ont facilement dans leur poche. Parfois, les « fact-checkers professionnels » autoproclamés ne font qu’amplifier le discours des acteurs de la communication qui ont le vent en poupe. Quant aux internautes, même les plus sérieux d’entre eux capables de discréditer des faux peuvent ne pas réussir à les persuader. Internet est en effet souvent perçu comme un royaume immaculé. Un mensonge répété de nombreuses fois, tout en restant un mensonge, peut être considéré comme une vérité du fait de sa répétition.
Ceci est donc devenu une arme puissante aux mains de la Chine et du PCC, pour imposer à la fois au sein du pays et pour exporter un accès fermé et régulé aux informations. En dehors de la Chine, cette arme alimente le mythe d’un « modèle chinois » efficace, voire bienveillant, qui semble faire consensus même dans certains cercles intellectuels des pays démocratiques. Ils sont heureux de sacrifier la liberté contre une prétendue sécurité accrue. Dans le cas d’internet, cette mentalité pourrait bien prospérer rapidement grâce à un stratagème subtil. D’abord, la fabrication et la diffusion à grande échelle de « fake news » sur internet (où elles circulent plus facilement que sur d’autres canaux d’information) sapent la crédibilité et font avancer la cause de la post-vérité. Deuxièmement, une fois que la post-vérité est établie à un niveau suffisant, des restrictions sont invoquées en prétendant qu’elles sont nécessaires pour contenir les « fake news », alors qu’elles nient au contraire la vérité à un niveau plus profond, et servent à justifier le contrôle des médias d’une manière que beaucoup considéreraient finalement comme acceptable.
Qui contrôle Internet, contrôle le monde entier
Cette guerre irrégulière, asymétrique et sale est menée à l’échelle mondiale par le PCC, notamment grâce au soutien d’une vaste armée de soldats involontaires. La Chine reste en effet le pays qui compte la plus grande population d’internautes au monde, avec un marché des applications mobiles en pleine expansion. Elle prévoit une croissance constante du nombre d’utilisateurs au cours des prochaines années, à une époque où la majeure partie de la population mondiale obtient des informations et des nouvelles (et peut-être même son information culturelle, politique et économique) sur Internet. On estime qu’Internet est le royaume de la liberté sans contrôle, alors qu’il peut, paradoxalement, devenir de plus en plus dominé par un pays qui en restreint l’accès et en monitore le contenu.
Présente sur Internet par intermittence depuis mai 1989, la Chine y est maintenant omniprésente depuis le 20 avril 1994. Le premier projet de surveillance massive et de contrôle du contenu du réseau virtuel date de l’année précédente, en 1993, et a été présenté par Zhu Rongji, alors premier ministre du Conseil d’État de la RPC (République populaire de Chine), ou chef du gouvernement, sous le nom de « Projet Bouclier d’or ». En novembre 2000, il a été relancé de fond en comble et est devenu entièrement opérationnel en tant que « grand pare-feu de Chine », autrement dit le programme de censure d’Internet le plus étendu et le plus moderne au monde.
Bien entendu, l’effet exercé sur l’information par un système de production de contenus Internet qui se fait le porte-parole de ce qui est littéralement l’industrie de fake news la plus développée et la plus largement diffusée du globe est comparable à l’explosion d’une bombe atomique. De plus, la détention par Pékin de parts dominantes dans les infrastructures de téléphonie mobile de certains pays étrangers est la clé de ce contrôle.
Dans de nombreux pays, écrit M. Kurlantzick, les entreprises d’État chinoises se sont associées « avec des magnats locaux qui ont les faveurs des dirigeants gouvernementaux » et « sont souvent en mesure de décrocher des contrats pour la construction d’infrastructures de téléphonie mobile et d’Internet fixe, parfois sans aucune procédure d’appel d’offres transparente ».
Le cas le plus évident du fonctionnement de l’initiative Digital Silk Road du PCC est l’Afrique. Les entreprises chinoises reçoivent des prêts des banques chinoises à des conditions extrêmement avantageuses, ce qui leur permet de construire des infrastructures de télécommunications à l’étranger. Dans le même temps, les concurrents non chinois rencontrent, quant à eux, de sérieux obstacles pour obtenir le même niveau de soutien diplomatique de la part de leurs gouvernements respectifs, ou bien, ne sont pas encouragés par les conditions de financement favorables dont bénéficient les entreprises chinoises.
Colonialisme : l’Afrique toujours au centre
En Afrique, note encore Joshua Kurlantzick, Pékin « est devenu de loin le principal constructeur de nouvelles infrastructures physiques pour transmettre de l’information ». M. Kurlantzick souligne le rôle de l’entreprise publique chinoise China Telecommunications Corporation, connue sous le nom de China Telecom, et de ZTE, l’entreprise technologique partiellement publique spécialisée dans les télécommunications, qui a fait l’objet de critiques pour son implication dans la surveillance de masse de la RPC et qui, en juin 2020, a été désignée comme une menace pour la sécurité nationale par la Commission fédérale des communications (FCC) des États-Unis.
China Telecom et ZTE « pavent le chemin des nouveaux réseaux mobiles et de fibre optique à travers l’Afrique, et concurrencent largement Huawei », un autre suspect habituel très critiqué qui, en novembre 2022, a également été interdit de commerce par la FCC pour des raisons de sécurité nationale. Huawei, « entreprise privée chinoise » ayant « des liens historiques avec l’Armée populaire de libération », est un cas d’école. L’astucieuse politique de communication et de conquête du régime chinois implique en fait aussi des entreprises chinoises qui « ne sont pas des entreprises d’État », explique M. Kurlantzick. Alors que ces entreprises privées servent à afficher un pluralisme aussi feint qu’utile aux yeux du monde, elles sont invariablement « financées par des banques d’État chinoises et le fonds souverain de la Chine » et « ont des conseils d’administration remplis de hauts fonctionnaires » du PCC.
De plus, ajoute M. Kurlantzick, Huawei est prêt à devenir le fournisseur principal de la 5G, ou « l’Internet du futur », en Afrique subsaharienne, pratiquement sans concurrents, tout en ayant des contacts pour aussi la développer au Cambodge, en Thaïlande, aux Philippines et peut-être même en Indonésie. En ce qui concerne l’Asie du Sud-Est, l’entreprise a déjà construit un grand nombre des câbles sous-marins les plus courts reliant les réseaux de télécommunications de la région, jusqu’en Océanie, où Huawei et d’autres géants chinois de la technologie se sont livrés à une concurrence agressive avec des entreprises australiennes, entre autres, dans le but de conclure de nouveaux accords dans des endroits tels que les îles Fidji.
Les Philippines constituent un exemple ponctuel de l’action médiatique de la RPC. Dito Telecommunity Corporation (anciennement Mindanao Islamic Telephone Company, Inc. ou Mislatel) est un consortium philippin qui accroît rapidement sa part du marché des télécommunications du pays. China Telecom détient aujourd’hui 40 % de Dito. Les Philippines sont également un exemple de l’efficacité des alliances que les entreprises d’État chinoises sont capables de créer avec des magnats locaux.
Entre-temps, Huawei est déjà devenu le fournisseur principal de la 5G en Asie centrale, y compris dans des pays comme l’Ouzbékistan et le Kirghizistan, qui comptent parmi les États comparativement les plus libéraux de la région.
Sans conteste, le niveau de contrôle exercé par Pékin sur l’information et la communication est déjà immense. Le PCC peut manipuler n’importe quel flux d’informations. Mais la situation peut empirer, car la manipulation peut servir à étendre la surveillance du PCC à l’échelle mondiale, menaçant ainsi la liberté, la sécurité et les droits de l’homme dans le monde entier.
Vous pouvez apporter votre soutien à la défense des droits humains en Chine en signant la pétition en ligne. Chaque voix compte !
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